SAINTE KATERI TEKAKWITHA
Toute la vérité sur la mission, la colonisation, l’inculturation.

LE Père Henri Béchard s.j. vécut quarante-quatre ans à la Mission Saint-François-Xavier, l’actuel Kahnawaké, où se trouve le tombeau de Kateri Tekakwitha, dont il fut le principal artisan de la béatification en 1984. À sa mort, en 1990, il laissait d’abondants travaux inédits sur sa chère petite sainte, l’histoire de sa tribu et de la mission. Ils ont été publiés sous ce titre évocateur pour qui connaît la langue iroquoise : « KAIA’TANÒ :RON KATERI TEKAHKWI :THA », ce qui signifie : « Précieuse, chère, bienheureuse Catherine Tekakwitha. »

La petite Iroquoise, morte à 23 ans sur les rives du Saint-Laurent, est de fait un pur modèle de foi catholique, au point que le récit de sa vie, de sa mort et de ses innombrables miracles posthumes aurait de quoi arrêter les assauts des hérésies conciliaires, comme elle protégea la chrétienté naissante de Nouvelle-France des assauts des Iroquois.

NON PAS LE CHOC DE DEUX CULTURES,
MAIS LA DÉCOUVERTE DE LA CHARITÉ

La plus ancienne peinture de Kateri attribuée au Père Claude Chauchetière, s.j.
La plus ancienne peinture de Kateri attribuée au Père Claude Chauchetière, s.j.

Sainte Kateri est née probablement en 1656. Sa mère était une Algonquine chrétienne, capturée par les Iroquois à Trois-Rivières, emmenée en captivité chez eux, les Agniers, la plus belliqueuse des cinq nations iroquoises. Ces farouches guerriers n’en étaient pas moins relativement sédentaires, pratiquant l’agriculture. La jeune femme devint l’épouse d’un des chefs du village d’Ossernenon, l’actuel Auriesville, dans l’État de New York.

En 1660, une épidémie de variole ravagea Ossernenon. Le père, la mère et le petit frère de notre future sainte furent parmi les victimes ; elle-même fut atteinte et, quoique guérie, elle en garda de profondes marques au visage et la vue affaiblie. Pendant plusieurs années, elle ne supportera pas la lumière, d’où son nom de Tekakwitha, celle qui marche à tâtons.

Elle fut recueillie par son oncle qui était le chef du clan, et élevée par ses tantes. Elle avait onze ans lorsque les soldats du régiment de Carignan envahirent les territoires iroquois, détruisirent les villages abandonnés et confisquèrent les récoltes. À la suite de quoi, les Iroquois acceptèrent des pourparlers de paix, en 1667.

Après quelques hésitations – nous étions à peine vingt ans après le martyre de René Goupil, d’Isaac Jogues et de Jean de Lalande, massacrés à Ossernenon – le gouverneur de Courcelle leur envoya trois Jésuites : les Pères Frémin, Pierron et Bruyas.

Arrivés au village de Kateri en septembre, ils y sont accueillis avec crainte et respect. Le chef les confie aux soins de sa nièce qui s’acquitte de sa charge à merveille, les missionnaires en garderont le souvenir. Elle les suit donc dans la visite du village où ils réclament de pouvoir réunir les prisonniers et les esclaves chrétiens pour les instruire, leur donner les sacrements, instituer des chefs de la prière. Elle voit aussi une jeune iroquoise demander le baptême ; la Robe noire refuse pour le moment, mais promet de revenir.

De fait, quelques semaines plus tard le Père Frémin est de retour. Constatant les bonnes dispositions et l’innocence de la catéchumène qu’une esclave huronne a instruite des prières et des rudiments de la foi catholique, il la baptise et repart. Tekakwitha est alors témoin des épreuves qui fondent sur la jeune chrétienne : la maladie de son fils, la mort de son époux que, chose rare parmi ces peuples, elle aimait, et enfin la cécité qu’elle endura pendant trois mois. Tout cela est prétexte à persécution, car, aux yeux des Iroquois, c’est le baptême qui est le responsable de ces malheurs. Cependant, la néophyte tint bon, ce qui impressionna Tekakwitha qui se souvenait que sa mère, quoiqu’esclave, avait gardé la foi elle aussi et avait commencé à lui enseigner quelques prières.

Quelques mois plus tard, le Père Pierron s’installa chez les Agniers. Dessinateur talentueux, ses images illustrant sa prédication provoquèrent un vif intérêt : le nombre de conversions augmentait sans cesse. En 1668, il édifia une chapelle dans le village de Tekakwitha, mais la petite n’osa pas y entrer ; son oncle, en effet, était de ceux qui résistaient à l’évangélisation.

En 1669, une tribu de Loups, longtemps dominée par les Agniers, mais qui maintenant voulait prendre sa revanche, attaqua le village. Toutefois, les Agniers restèrent les maîtres du terrain. Les nombreux prisonniers allaient donc être torturés atrocement, selon la coutume. Tekakwitha qui, à 12 ans, était considérée comme une adulte, même si elle n’en paraissait que dix, n’aimait pas ces atrocités auxquelles elle n’assistait pas, mais elle remarqua que le Père Pierron se dévoua auprès des blessés et que tous les captifs demandèrent le baptême avant leur supplice.

Au bout de trois ans, le Jésuite pouvait écrire que tous les Agniers avaient été évangélisés, que beaucoup de pratiques de sorcellerie étaient éradiquées. Mais, malheureusement, tous n’étaient pas baptisés et les chrétiens n’étaient pas tous fervents.

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Le missionnaire savait aussi que les protestants hollandais, qui occupaient le site actuel d’Albany, entretenaient des liens avec le parti des irréductibles, dont l’oncle de Tekakwitha. Cette dernière, quoique très attirée par les Robes noires et leur prédication, les évitait pour ne pas attrister son tuteur qu’elle respectait. Cependant, elle était impressionnée par les chrétiens, surtout les femmes, qui étaient capables de défendre héroïquement leur foi et de supporter de pénibles vexations.

Le jour arriva où ses tantes décidèrent de la marier à son insu avec un fier guerrier ; ses qualités de ménagère, son habileté pour les travaux artisanaux, sa discrétion, faisaient de la nièce du chef du village un bon parti. Lorsque Tekakwitha s’aperçut du piège dans lequel elle allait tomber, elle n’hésita pas une seconde à s’enfuir dans la forêt. Cette fuite, qu’elle dut recommencer dans une autre occasion similaire, pour la plus grande humiliation de sa famille, fut pour elle le début de bien des mauvais traitements qu’elle subit avec une impressionnante égalité d’humeur.

En 1670, le Père François Boniface remplaça le Père Pierron. C’est lui qui initia les Iroquois au chant avec un remarquable succès, ce qui facilita encore les conversions : en 1671, il en baptisa soixante et un.

LA FOI ATTIRE LES BAPTISÉS PRÈS DES FRANÇAIS

Or, en 1671, commença un phénomène lui aussi lourd de menaces pour l’avenir. Quinze baptisés parmi les plus fervents du village de Tekakwitha le quittèrent pour aller s’établir à Sainte-Foy, près de Québec, où les Jésuites accueillaient déjà des néophytes d’autres peuples indigènes. Cinquante autres les auraient volontiers imités, si cela n’avait pas dégarni les défenses du village contre la tribu des Loups.

L’un des intérêts du livre posthume du Père Béchard est d’établir la véritable histoire de la Mission Saint-François-Xavier, et celle des Iroquois chrétiens qui entourèrent notre sainte et qui méritent d’être connus pour leur foi et leur courage à la confesser. Contrairement aux théories modernes qui font le procès des Jésuites maltraitant la « culture iroquoise », les faits témoignent que ce sont les Iroquois les plus fervents qui ne supportaient plus les mœurs iroquoises et réclamaient d’aller s’installer au plus près des Français.

La présence du missionnaire, en effet, n’empêchait pas les irréductibles, qui étaient souvent les plus fiers guerriers, de menacer leurs frères de race convertis. D’autre part, les plus tièdes parmi les baptisés voulaient des accommodements aux lois morales prêchées par la Robe noire ; et surtout, l’alcool, vendu par les Hollandais ou par quelques mauvais Français malgré la défense du Roi, était une tentation permanente qui éloignait le faible indigène de l’idéal évangélique. Les fervents en venaient donc à la conclusion qu’il fallait échapper aux mœurs et aux conditions de vie de l’Iroquoisie, pour vivre en bons chrétiens.

C’est ainsi que le développement de la Mission Saint-François-Xavier, à la Prairie, sur la Rive-Sud, ne fut pas une initiative des Jésuites sur le modèle des réductions du Paraguay ! Elle avait été fondée en 1647 comme maison de repos et base logistique pour les missionnaires en Iroquoisie et en Outaouais. Or, en 1657, un couple d’Iroquois fraîchement baptisés par Mgr de Laval, particulièrement fervents et qui ne rêvaient que de la conversion des leurs, demanda l’honneur de s’installer près de la Mission. En quelques mois, ils en attirèrent d’autres au point de constituer un village de plusieurs centaines de feux. Ces Iroquois étaient plus édifiants que la quarantaine de familles françaises qui travaillaient sur le domaine des Pères !

Cet exode n’était pas provoqué par les missionnaires en Iroquoisie. Beaucoup se fixaient à la Prairie à la faveur d’une campagne de chasse qui les y avait conduits. La paix, l’ordre, la charité qui y régnaient touchaient le cœur du guerrier de passage, parfois déjà converti, parfois non, au point de le décider à s’y installer. Il retournait dans son village chercher sa famille, et souvent ses explications en entraînaient d’autres à le suivre. Par exemple, c’est ainsi qu’en 1672, la Mission accueillit huit cents visiteurs iroquois, deux cents s’y fixèrent et se firent baptiser.

Tekakwitha était le témoin silencieux de ces conversions, dont certaines eurent un retentissement considérable, notamment celle du « Grand Agnier », le plus brave des braves. Lorsque sa femme s’était convertie, il l’avait répudiée, la contraignant à la plus grande pauvreté, mais après son passage à la Mission Saint-François-Xavier, il était revenu au village la rechercher et lui demander pardon. La conversion d’Assendassé, l’un des guerriers les plus anciens et les plus renommés de la tribu, avait fait aussi grand bruit. De passage à Montréal, il avait entendu Frontenac encourager les chefs iroquois à embrasser la foi ; exceptionnellement intelligent, il s’était décidé à faire le pas et à surmonter son orgueil pour braver les moqueries. Tekakwitha sut qu’un jour il fut capturé et sommé de renier sa foi pour avoir la vie sauve, et comment son calme et sa fermeté désarmèrent, c’est le cas de le dire, son agresseur.

Elle assista aussi à ce fait inouï au village : un jeune guerrier osa prendre la parole devant le Conseil des Anciens pour vanter le bien qui se faisait à la Mission. Puis il chanta de nouveaux cantiques appris là-bas avec une si belle voix que bien des cœurs furent remués.

Mais Tekakwitha n’osait toujours pas aller s’adresser ni aux chrétiens, ni au missionnaire, pour ne pas faire de la peine à celui qui l’avait recueillie et sauvée de la mort.

L’HEURE DE LA GRÂCE

À l’été 1675, le Père de Lamberville arriva au village, peu de temps avant que celui-ci ne se vide, les hommes allant à la chasse et les femmes à la moisson. Le nouveau missionnaire en profita pour faire tranquillement le tour des cabanes, afin de visiter les malades. Il passa devant celle du chef sans s’arrêter, lorsque, poussé intérieurement, il revint sur ses pas et entra. Il y trouva Tekakwitha, étendue sur sa couche, blessée au pied.

Elle avait dix-neuf ans. Dès qu’elle le vit, elle lui sourit, heureuse enfin de pouvoir parler à une Robe noire sans braver son oncle. Avec simplicité, elle lui ouvrit son cœur, lui confia son désir d’être chrétienne. Le Père fut tout de suite vivement impressionné de voir la profonde compréhension des vérités de la foi dont elle faisait preuve avant même d’avoir été catéchisée. Il fut immédiatement convaincu que Dieu avait des desseins sur cette jeune femme.

Elle commença son instruction au début de l’hiver. « Dès qu’on lui apprit les qualités, le pouvoir et la gloire de Notre-Dame et comment on devait l’honorer », son âme s’embrasa de dévotion pour la Sainte Vierge.

Les fêtes de Noël furent un grand bonheur pour elle. Elle passa des heures devant la crèche, malgré le froid. Profondément impressionné par ce comportement, le Père de Lamberville fit une enquête sur sa catéchumène dans toute la mission, et ne recueillit que des éloges, ce qui est fort étonnant quand on sait la propension à la médisance dans un village.

Il décida donc de la baptiser, sans attendre les deux années réglementaires, le jour de Pâques, 5 avril 1676. Il la plaça sous le patronage de sainte Catherine de Sienne. Ce fut un jour de grande fête, au village comme au Ciel.

LA PERSÉCUTION DES JUSTES

« Depuis son baptême, je puis dire que je n’ai rien trouvé en elle en quoi elle semblait se relâcher tant soit peu de sa première ferveur. » Si bien que, reproche vivant pour son entourage, elle eut à subir la persécution des justes.

On s’en prit d’abord à sa pureté. « La confiance que la néophyte avait en Dieu, la défiance qu’elle avait d’elle-même, son assiduité à la prière, sa délicatesse de conscience, qui lui faisait appréhender jusqu’à l’ombre même du péché, lui donnèrent une victoire entière sur les ennemis de sa pudeur. » C’est en confirmation de cette vertu que s’accompliront après sa mort les premières guérisons de malades et surtout celles des âmes.

« Aucun noviciat ancien ou nouveau n’a été plus rude pour ses novices que son propre village pour Kateri. Sa cabane s’est mise à la tenailler parce que son assiduité du dimanche à fréquenter la chapelle l’empêchait d’aller travailler au champ avec ses tantes. Elle endura tout, reproches, injures, faim. Elle préféra se passer de nourriture au lieu de violer la loi qui ordonne la sanctification du dimanche et des fêtes. »

Quant à son oncle, il alla même jusqu’à soudoyer un jeune guerrier et à lui ordonner d’aller à la cabane de Kateri, un tomahawk à la main. Le jeune homme, les yeux étincelants de colère, entra brusquement dans la cabane et, arrivé près de la jeune chrétienne, leva son casse-tête comme pour lui asséner un coup sur le crâne. Restée calme, Kateri courba tout bonnement le front. Son courage déconcerta tellement l’agresseur qu’il s’enfuit aussitôt, comme poussé par une force invisible.

Le calme revint avec les neiges de l’hiver. Pour l’anniversaire de son baptême, Kateri aurait voulu communier, mais les Robes noires ne le permettaient que quatre ou cinq ans après le baptême. Elle se résigna.

Durant ce printemps, Kateri fut la cible de calomnies suffisamment graves et impressionnantes pour que le missionnaire fasse une enquête. Le diable porte pierre, dit le proverbe, cette fois il permit d’établir que la jeune chrétienne avait su au contraire préserver sa parfaite pureté, ce qui en soi était déjà un miracle compte tenu des conditions de vie dans les cabanes.

C’est alors que le Père de Lamberville lui conseilla d’aller se réfugier à la Mission Saint-François Xavier, qui venait de déménager à Kahnawaké à quelques miles de son emplacement primitif, entre celui-ci et l’actuel Caughnawaga où elle sera transférée en 1719. Le prêtre confia Kateri à trois chrétiens de Kahnawaké qui étaient de passage.

Lorsque l’oncle apprit la fuite de sa nièce, il partit à sa poursuite. Il rattrapa le groupe et le dépassa sans même penser à fouiller la barque dans laquelle elle était cachée. Un vrai miracle !

À LA MISSION SAINT-FRANÇOIS-XAVIER

Elle arriva à Kahnawaké au début de l’hiver 1677. Le supérieur de la Mission était alors le Père Frémin, la première Robe noire qu’elle avait vue dans son village. Il était secondé par le Père Cholenec et le Père Chauchetière. Elle leur remit la lettre de recommandation du Père de Lamberville : « C’est un trésor que nous vous donnons, comme vous le connaîtrez bientôt. Gardez-le bien, et faites profiter à la Gloire de Dieu et pour le salut d’une âme qui lui est assurément bien chère. »

Le Père Cholenec, son directeur spirituel, note au cours de cet hiver : « Il y en a surtout une, qui est une petite boiteuse, laquelle est la plus fervente, je crois, de tout le village, et qui, quoiqu’elle soit infirme et presque toujours malade, fait des choses surprenantes […] On peut dire d’elle avec vérité qu’elle n’a pas été novice dans l’exercice de la vertu, et qu’elle y a été savante dès le commencement et qu’elle n’y a eu d’autre maître que l’Esprit-Saint, tant elle courut à grands pas à la perfection. »

Il faut dire que Kateri était heureuse au-delà de ce que nous pouvons concevoir. « Kateri, écrit le Père Béchard, trouvait ce qu’elle cherchait depuis longtemps sans le savoir : être chrétienne sans encourir de choc culturel. Dans cette espèce de paradis terrestre, elle remerciait chaque jour le Seigneur de l’avoir transportée au pays de la lumière ». Telle est la vérité à opposer aux tenants de l’inculturation !

On ne peut pas tout raconter ici, mais il convient de citer l’emploi du temps des dimanches et fêtes. Deux messes tôt matin, et pratiquement tout le monde assiste aux deux, mais surtout à la seconde pour écouter la prédication. À 10 heures, récitation du rosaire. À 13 heures, réunion de la confrérie de la Sainte-Famille qui rassemble l’élite du village. À 15 heures, tous se retrouvent à l’église pour les vêpres et le salut du Saint-Sacrement.

Une vieille Iroquoise qui avait connu sa mère, Anastasie, prit Kateri sous son aile. Elle lui racontait la vie des saints, l’emmenait aux travaux des champs, s’entretenait avec elle des choses du Ciel, et surtout des moyens de plaire à Dieu. C’est alors que Kateri découvrit peu à peu les pratiques de pénitence et d’austérité de certains chrétiens, malgré les mises en garde des missionnaires.

Elle suivit leurs exemples. Dès 4 heures du matin, elle se rendait pieds nus à l’église pour y faire oraison. Un mois après son arrivée, elle fut gratifiée de grâces particulières qui lui permettaient de rester des heures en prière, immobile. Mais jamais elle n’allait faire ses dévotions pendant le temps du travail.

À Noël 1677, elle fut autorisée à faire sa première communion. De ce jour, elle fut tout autre, tant elle restait en présence de Dieu. C’était si remarquable que les femmes les plus pieuses de la Mission s’empressaient de prendre place auprès d’elle à l’église ; sa seule présence leur servait de préparation à la sainte communion.

À Pâques, sept mois simplement après son arrivée, elle était admise dans les rangs de la confrérie de la Sainte-Famille, ce qui obligeait à la récitation d’un certain nombre de prières, mais aussi à visiter des malades et à veiller les morts.

Un jour, Marie-Thérèse Tegaiaguenta, une jeune veuve, avait été bouleversée par le calme de Kateri, victime d’un jugement téméraire qui lui valut une remontrance imméritée du missionnaire ; elle comprit alors que Dieu l’avait mise sur son chemin pour l’aider à devenir meilleure. Dès ce moment, une grande amitié spirituelle les unit ; elles faisaient tout ensemble : le travail, la prière et les pénitences.

C’est en sa compagnie qu’à l’été 1678, Kateri se rendit visiter des malades à l’Hôtel-Dieu de Ville-Marie. Là, pour la première fois, elles rencontrèrent des Sœurs ! Ce fut un émerveillement, dès lors elles n’eurent de cesse de vouloir les imiter. Elles entreprirent de se renseigner sur leurs pratiques et leurs coutumes auprès d’une vieille Huronne qui avait été soignée par la bienheureuse Catherine de Saint-Augustin ! Sur une île du Saint-Laurent, devant la Mission, elles trouvèrent le terrain idéal pour se construire un petit ermitage et commencer la vie religieuse. Il ne manquait plus que la permission du missionnaire… qui la leur refusa.

Cependant, Kateri obtint de faire vœu de virginité perpétuelle, le 25 mars 1679. Trois autres autochtones l’avaient fait avant elle, mais dans le cadre d’une communauté religieuse : une Huronne, en 1657, chez les Augustines de Québec, et vingt ans plus tard, mère Bourgeoys avait accueilli deux indigènes dans sa congrégation naissante.

Ce don total de soi à Notre-Seigneur avait encore aiguisé la soif de pénitences dans l’âme de Kateri. Cela ne lui était pas propre, il semble que ce fût comme un besoin chez les Iroquois, régénérés par le baptême, comme une réponse nécessaire à l’amour de Jésus pour eux. Ils ne pouvaient pas entendre le récit de la Passion de Jésus sans en être émus, sans avoir le désir impérieux de lui montrer leur amour par des souffrances semblables. Cela leur paraissait si naturel qu’ils ne pensaient pas à en demander la permission aux Robes noires, qui n’arrivaient pas à les raisonner.

Rien de morbide dans ce comportement, ni d’illuminé, mais le souci de plaire à Jésus. Le cas de Kateri l’illustre bien. Avec son amie Marie-Thérèse, elle recherche des moyens de faire pénitence, comme les enfants de Fatima le feront après avoir entendu le message de Notre Dame. Elles iront jusqu’à s’infliger les supplices que les Iroquois réservaient à leurs ennemis ! Mais elles n’en resteront pas moins gaies, appliquées à toutes les vertus, à tous les exercices de piété comme au travail.

À partir de l’automne 1679, Marie-Thérèse ne sera plus seule à partager la vie spirituelle, les actions charitables et les pénitences de Kateri. Plusieurs compagnes vont se joindre à elles, jusqu’à treize, formant « la bande à Kateri ». En fait, elles vivaient en religieuses sans en avoir le titre. Elles se dévouaient aux pauvres et aux malades, ne restaient jamais oisives, s’habillaient simplement en renonçant à toute parure, et pratiquaient la coulpe afin de faire au plus vite des progrès de vertus.

VICTIME POUR LA CHRÉTIENTÉ 
DE NOUVELLE-FRANCE ET POUR SON PEUPLE

Mais c’est aussi à partir de ce moment que la santé de Kateri s’altéra véritablement. Malgré la rigueur de l’hiver, elle passait des heures à l’église, transie de froid. Le missionnaire la renvoyait parfois dans sa cabane, ou l’invitait à se réchauffer chez les Pères ; mais alors elle n’était pas longue à retourner là où était resté son cœur.

Un jour qu’elle la vit plus malade, Marie-Thérèse lui demanda la permission d’aller tout révéler de leurs mortifications au prêtre. Le Père les gronda et essaya de les modérer. Mais quelques jours plus tard, tandis que Kateri était dans le bois à se donner discrètement la discipline, un halo de lumière surnaturelle l’enveloppa, attirant l’attention de tous. Son confesseur dut en conclure que le Bon Dieu était content de ses pénitences.

Son état empira durant l’hiver, et elle dut s’aliter définitivement. Le Père Chauchetière la visitait régulièrement, parfois accompagné des enfants du catéchisme qui lui chantaient leurs plus beaux cantiques. Elle était toujours souriante, ne se plaignait jamais.

Pensant qu’elle allait bientôt mourir, elle résolut de faire son purgatoire. En cachette, même de Marie-Thérèse, elle parsema d’épines sa pauvre couche et dormit dessus. La souffrance fut terrible : au bout de deux nuits, Kateri était à bout de force. Quand Marie-Thérèse la surprit, elle la gronda fort, lui rappelant que c’était péché que de faire pénitence sans permission. Aussitôt la pauvre malade, de peine et de misère, se traîna chez le Père Cholenec pour tout lui avouer. Malgré son émotion devant un tel héroïsme, celui-ci fit le fâché et lui ordonna de détruire tous ses instruments de pénitence, ce qu’elle fit immédiatement.

En mars 1680, la fièvre devint incessante. Le moindre mouvement lui causait d’atroces souffrances. Mais elle était heureuse de se sentir avec Jésus sur la Croix.

Le 7 avril, dimanche de la Passion, elle était au plus mal. Le mardi saint, elle voulut se priver de boire par imitation de Jésus sur la Croix, mais le Père le lui interdit en lui rappelant que l’obéissance était la plus parfaite imitation de Jésus. Cependant, il décida de lui apporter la communion sur son lit de malade, dans sa cabane. C’était la première fois que cela se ferait à la mission.

Elle rassembla ses forces et Marie-Thérèse lui prêta ses vêtements, car elle n’avait plus rien à se mettre pour recevoir dignement Notre-Seigneur. Tout le village suivit le prêtre pour assister à la mort d’une sainte. L’après-midi, on défila auprès d’elle pour la voir, lui parler une dernière fois, surtout lui confier ses intentions pour le Ciel.

Le lendemain, mercredi saint 17 avril, on lui administra l’extrême-onction, puis n’ayant plus qu’un filet de voix, elle fit ses recommandations à Marie-Thérèse : « Je te quitte, je m’en vais mourir ; souviens-toi toujours de ce que nous avons fait ensemble depuis que nous nous connaissons, si tu changes, je t’accuserai devant le tribunal de Dieu ; prends courage, méprise les discours de ceux qui n’ont point de foi. Quand on voudra te persuader de te marier, n’écoute que les Pères. Si tu ne peux servir Dieu ici, va-t-en à la mission de Lorette, ne quitte jamais la mortification, je t’aimerai dans le Ciel, je prierai pour toi, je t’aiderai. »

Elle suivit avec application les prières des agonisants. Enfin, elle s’endormit si doucement dans la mort que personne ne s’en aperçut sur le moment.

MIRACLE SUR MIRACLE

Après avoir tant souffert, son visage décharné, déjà marqué par la petite vérole, était défiguré. Or, quelques minutes après son décès, le Père Cholenec, demeuré en prière à ses côtés, poussa un grand cri. Les traits du cadavre étaient refaits, sa physionomie s’était merveilleusement embellie. Tout le monde accourut. « Son visage parut plus beau qu’il n’était de son vivant ; il donnait de la joie et fortifiait chacun dans la foi qu’il avait embrassée ; c’était un argument nouveau de crédibilité dont Dieu favorisait les Indiens pour leur faire goûter la foi. »

Ce n’était que le premier des prodiges qui allaient révéler la sainteté de la jeune iroquoise. Les jours suivants, ses amies du village et son père spirituel reçurent sa visite. L’apparition à ce dernier fut accompagnée de signes prophétiques : l’église de la mission en feu, ce qui arriva en 1683, et la mort en 1690 d’Étienne Tegananokoa, premier martyr iroquois victime des siens rebelles à la foi, comme le seront Françoise Gonnanhatenha et Marguerite Garongoüas.

Impressionné par ces faits, le Père Chauchetière s’interrogeait s’il était opportun de faire connaître la vie de Kateri. Pour en avoir le cœur net, il demanda un signe et obtint la guérison miraculeuse et instantanée d’un Français à l’article de la mort, Claude Caron, demeurant à une lieue de la mission. Ce fut le premier d’une longue série de miracles aussi bien auprès des Français de la colonie que des Iroquois du village, et jusqu’aux plus hautes autorités, comme le grand vicaire de Québec, le chanoine Joseph de la Colombière, frère de saint Claude de la Colombière, ou l’Intendant Bochart de Champigny. On dessina des images, et les prières à Kateri firent des miracles en France et dans les Caraïbes.

Avec la guerre entre les Iroquois excités par les Anglais et les Canadiens, les faits surabondent attestant de la protection miraculeuse de Kateri sur ceux qui avaient recours à elle. N’en citons qu’un seul : « Marie Maupetit habitait une maison très exposée aux attaques des Iroquois qui ravageaient la partie supérieure de l’île de Montréal et incendiaient les récoltes. Sa mère s’engagea à faire dire une messe en l’honneur de Kateri si la demeure de sa fille et leurs deux berges de pois étaient épargnées. Or, toutes les maisons furent incendiées sauf la maison de Marie Maupetit et celle où la messe était célébrée à l’occasion ; et qui plus est, les deux berges de pois auxquelles les assaillants avaient mis le feu ne brûlèrent qu’en superficie, la récolte fut sauvée. »

La plus grande grâce de Kateri, dans ces années de guerre, est sans contredit la préservation de la Mission, alors qu’il aurait été si facile pour les Iroquois de s’en emparer ou de la ravager, comme ils l’avaient fait de Lachine. « Nous ne pouvons attribuer cette conservation qu’à ses prières et à ses précieux ossements que nous possédons. Elle est une puissante protectrice contre tous les ennemis visibles et invisibles de cette mission et de toute la colonie française. »

En fait, Kateri se montrait reconnaissante. Sa sainteté n’est-elle pas un des fruits de la colonisation française, exempte de tout racisme ? Sans les Jésuites, mais aussi sans l’armée royale qui les protégea, il n’y aurait pas eu de sainte Kateri. Non seulement cela, mais sa vie témoigne de l’incompatibilité des vertus chrétiennes et des mœurs iroquoises. La foi doit être prêchée à toutes les nations, certes, mais leur conversion n’implique pas le respect de leur culture, elle exige l’adaptation de celle-ci, dans la mesure du possible, à la morale catholique. Enfin, comme elle, admirons l’ouverture de cœur et d’esprit des Jésuites qui surent adapter leur apostolat à la psychologie du peuple iroquois et susciter au milieu de lui autant d’âmes saintes, dignes des temps apostoliques.

Concluons, comme le Père Béchard, en citant la judicieuse constatation que fit l’historien Charlevoix, mandaté par le Roi de France pour écrire la première histoire de la Nouvelle-France. Après avoir rappelé que celle-ci a eu ses apôtres, ses saints et ses martyrs, il remarque que Dieu « n’en a choisi aucun pour déployer sur leurs tombeaux toutes les richesses de sa puissance et de sa miséricorde ; et il a fait cet honneur à une jeune néophyte, presque inconnue à tout le pays pendant sa vie. Elle est depuis soixante ans universellement regardée comme la Protectrice du Canada et il n’a pas été possible de s’opposer à une espèce de culte qu’on lui rend publiquement. »

Puisse sainte Kateri continuer son action protectrice, tout particulièrement sur l’œuvre de Contre-Réforme pour la Renaissance de cette chrétienté qui l’enfanta à la vie éternelle. Elle multiplia les pénitences pour que les siens se convertissent et la rejoignent, ou y soient fidèles ; qu’elle suscite aujourd’hui une « bande » de fervents chrétiens soucieux de la foi et du salut des âmes, voulant obéir au Cœur Immaculé de Marie.

RC n° 200, août-septembre 2012