Pour un retour à l’œcuménisme catholique

LA réhabilitation de Luther par Benoît XVI lors  de son voyage en Allemagne en 2011, et la réunion d’Assise pour promouvoir la paix remettent au premier plan la question de l’œcuménisme, « désormais irréversible » au dire du porte-parole du Saint-Siège. Bonne occasion pour nous d’en rappeler l’histoire afin d’en annoncer l’avenir !

L’ŒCUMÉNISME DE JADIS

« L’union des chrétiens ne peut être pensée autrement qu’en favorisant le retour des dissidents à la seule véritable Église du Christ », rappelait fermement le pape Pie XI dans son encyclique Mortalium Animos, en 1928.

Compris en ce sens, même si ce mot n’était connu que pour désigner l’universalité de certains conciles, l’œcuménisme anime la vie de l’Église depuis des temps immémoriaux, depuis que certains de ses fidèles eurent le malheur de se séparer d’elle par le schisme ou l’hérésie. C’est ainsi, par exemple, que l’Église travailla au retour des Grecs schismatiques lors des conciles de Lyon (1274), puis de Florence (1439). Durant le dix-neuvième siècle, ce souci de la réintégration des orthodoxes dans son giron n’a pas quitté l’Église : en témoigne l’intérêt qu’y portait le Père Emmanuel, curé du Mesnil-Saint-Loup et fondateur de l’œuvre de Notre-Dame de la Sainte Espérance, ou encore le grand évêque de Bosnie et Syrmie (1850-1905), Mgr Strossmayer, dont les initiatives trouvèrent un large écho dans le monde slave.

Vis-à-vis des protestants, l’Église manifesta le même zèle qui anime tous les saints de Contre-Réforme, tels saint Pierre Canisius en Allemagne, sainte Thérèse d’Avila, ou encore saint François de Sales, le convertisseur du Chablais.

Mais cet œcuménisme-là n’est pas celui dont Benoît XVI se fait le promoteur zélé.

L’ŒCUMÉNISME ACTUEL : UNE NOTION PROTESTANTE PAR ESSENCE

L’œcuménisme, compris comme la réunion de toutes les Églises pour mettre fin à la « division scandaleuse des chrétiens », est une invention protestante.

On sait, en effet, qu’après Luther, la prétendue Réforme n’a cessé de se diviser en Églises ; c’est la conséquence logique du libre-examen. « Chaque protestant n’est-il pas pape, une Bible à la main ? », comme l’a dit Boileau.

C’est en 1846 que l’adjectif œcuménique est utilisé pour la première fois dans son acception actuelle, à Londres où 921 délégués, représentant 52 “ Églises ” de 12 nations différentes, fondent L’Alliance Évangélique « afin de manifester l’unité en Jésus-Christ ».

Leur exemple est contagieux : tout au long du dix-neuvième siècle, le protestantisme connaît un vaste mouvement de regroupement de ses composants : en 1867, c’est le synode pan-anglican et la première conférence de Lambeth ; l’année suivante, la fédération luthérienne mondiale ; en 1881, le conseil méthodiste international ; en 1905, l’alliance baptiste mondiale.

Au vingtième siècle, le mouvement s’accentue encore. Les Églises luthériennes et réformées d’Allemagne fusionnent en une Église unie. En 1938, l’Église réformée de France regroupe des réformés libéraux, des réformés évangéliques et quelques méthodistes. Au Canada, méthodistes et presbytériens fusionnent à leur tour en une Église unie du Canada. Dans de nombreux pays, les Églises issues de la Réforme se fédèrent sur le modèle de la Fédération protestante de France.

Parallèlement à ce regroupement au sein du protestantisme, la conférence missionnaire d’Édimbourg, en 1910, décide 160 sociétés missionnaires à coordonner leurs efforts en vue de l’évangélisation du monde sans esprit de concurrence entre elles, mais c’est pour être plus efficaces contre les missions catholiques !

En 1925, l’œcuménisme protestant fait un pas de plus avec la fondation du mouvement “ Vie et Action ” qui prône des actions communes en reléguant les différences doctrinales au second plan. C’est ce mouvement qui va diffuser l’idée qu’il faut travailler ensemble afin de mieux se connaître pour en venir, ensuite, à surmonter les divisions.

En 1927, le mouvement “ Foi et constitution ” adopte une autre démarche, appelée aussi à un bel avenir œcuménique : plutôt que d’insister sur ce qui nous divise, étudions d’abord ce qui nous unit.

Ces deux mouvements fusionnent en 1938 à la rencontre d’Utrecht pour former un Conseil Œcuménique des Églises, le COE, qui ne verra le jour que le 22 août 1948, après la Seconde Guerre mondiale. À cette époque, il ne regroupait que 147 Églises. Le nombre ira en augmentant de congrès en congrès, jusqu’à 349, aujourd’hui. C’est en 1961 que les Églises orthodoxes y ont adhéré, au même moment où, pour la première fois, l’Église catholique envoyait cinq observateurs à sa réunion de New-Delhi.

DE L’ŒCUMÉNISME CATHOLIQUE
AUX PRINCIPES CATHOLIQUES DE L’ŒCUMÉNISME

C’est que cet œcuménisme protestant, pourtant jugé par Pie XI irréconciliable avec l’œcuménisme catholique, a malgré tout pénétré l’Église par l’action de quelques hommes.

Dom

Dom Lambert Beauduin

L’un des premiers et des plus influents à long terme fut dom Lambert Beauduin. Fils d’une famille de riches industriels belges, libéraux et démocrates-chrétiens, il était entré à l’abbaye du Mont-César à Louvain, après dix années de prêtrise consacrées à l’engagement social. Son enthousiasme pour les splendeurs de la liturgie catholique, qu’il découvrit au cloître, en fit un des plus ardents défenseurs des réformes liturgiques encouragées par le Pape d’alors, saint Pie X. Le dynamisme et l’esprit d’entreprise qui le caractérisaient lui donnèrent l’idée de les populariser en créant des bulletins hebdomadaires destinés aux curés aussi bien qu’aux fidèles, expliquant la liturgie de la semaine – en quelque sorte, l’ancêtre du « Prions en Église ». Cette œuvre, louable en soi, va lui donner un renom qui facilitera malheureusement ses futures entreprises dans une tout autre voie, au lendemain de la Première Guerre mondiale.

DU MONACHISME À L’ŒCUMÉNISME

À cette époque, le métropolite de Lvov, Mgr Szepticki, voulait relancer la vie monastique au sein de l’Église uniate d’Ukraine, dont il était le chef. Dans son esprit, cette restauration devait faciliter le retour à l’Église catholique de bon nombre d’orthodoxes russes très attachés à la liturgie orientale comme les uniates, mais aussi à la vie monastique, or ces derniers l’avaient quelque peu délaissée depuis leur retour dans le giron de l’Église, en 1596.

Cette restauration allait bon train lorsqu’elle se heurta à des difficultés. Il manquait à ces nouveaux moines orientaux catholiques, sans grande instruction ascétique, théologique et mystique, une connaissance approfondie de la tradition monastique. Le métropolite décida donc de s’adresser aux grands ordres monastiques latins pour y trouver ce qui leur faisait défaut. Il vint visiter plusieurs abbayes, mais partout on l’éconduisit poliment jusqu’à ce qu’il arriva à l’abbaye du Mont-César. L’exposé qu’il y fit sur la théologie de la liturgie orientale rencontra si bien les propres conceptions de dom Lambert, que celui-ci s’emballa pour ce projet d’aide au monachisme uniate.

Passons sur toutes les péripéties de l’affaire ; toujours est-il que dom Lambert dut quitter le Mont-César pour le Collège bénédictin de Saint-Anselme à Rome, où, tout en enseignant la liturgie et le dogme, il put acquérir un plus grand savoir sur la tradition orientale.

Cependant, et sans que cela rejoigne la pensée de Mgr Szepticki, il se persuada alors, et persuada ses élèves, que la question du retour des orthodoxes à l’Église devait être envisagée dans un cadre plus vaste : celui des relations de l’Église avec “ les frères séparés ”.

C’est que, dans ces années 1920, le cardinal Mercier, primat de Belgique, grand ami de dom Lambert, fut entrepris par des anglicans prestigieux, tel Lord Halifax, pour tenir des entretiens informels sur un possible rapprochement entre les deux Églises. Le cardinal, influencé par dom Lambert, n’avait-il pas déjà déclaré : « Pour s’unir il faut s’aimer, pour s’aimer il faut se connaître, pour se connaître, il faut aller à la rencontre l’un de l’autre. » Il organisa donc les “ conférences de Malines ”, pour lesquelles dom Lambert prépara un document de travail qui fit scandale lorsque les anglicans le rendirent public. Il prévoyait en effet que ceux-ci, une fois devenus catholiques par un acte d’allégeance au Saint-Siège, seraient en droit de garder leur hiérarchie, leur tradition et leurs rites anglicans ! Il envisageait même l’effacement de la hiérarchie catholique romaine à leur profit dans les pays où nos “ frères anglicans ” seraient majoritaires ! Nous étions en 1926. Peu de temps après, le cardinal Mercier mourut opportunément et on ne reparla plus de ces réunions de Malines. Mais elles avaient suffi à donner à dom Lambert une réputation sulfureuse dans les milieux attachés à la pure foi catholique.

Durant ces mêmes années, la persécution communiste avait compromis la réussite du plan de Mgr Szepticki. Pie XI restait cependant persuadé que sa politique d’entente avec le gouvernement bolchévique, au mépris des demandes de Notre-Dame de Fatima, porterait du fruit ; il était pressé d’envoyer là-bas des prêtres occidentaux pour soutenir l’Église. Les Bénédictins n’étant pas prêts, il confia l’entreprise à un jésuite, Mgr d’Herbigny, qui se lia d’amitié avec dom Lambert avant de se lancer dans l’aventure qui se terminera tragiquement.

Abbaye de Chevetogne, en Belgique

Abbaye de Chevetogne, en Belgique

Ne pouvant partir en Ukraine, dom Lambert résolut de faire l’expérience d’un monachisme uniate soutenu par des moines latins, dans un carmel désaffecté en Belgique, à Amay. Ce prieuré d’Amay allait rapidement avoir un rayonnement certain : devenu trop exigu, il fut transféré à l’abbaye de Chevetogne qui, encore aujourd’hui, offre cette particularité d’avoir deux chapelles où la liturgie est célébrée en deux rites différents ! Cette première grande expérience œcuménique, mais au sein de l’Église catholique, allait servir de catalyseur et de modèle pour la bonne entente avec les autres confessions, non catholiques cette fois.

Au tout début, ce mouvement jouissait de grandes protections romaines. Lorsque Pie XI publia son encyclique condamnant l’œcuménisme protestant, dom Lambert et ses disciples, saisis de crainte, furent vite tranquilisés : “ on ” les assura qu’ils n’étaient pas concernés par l’anathème pontifical.

Toutefois, après que l’énigmatique Mgr d’Herbigny se fut fait l’accusateur de son “ ami ” pour essayer de se disculper des suites tragiques de ses actions en Russie soviétique, dom Lambert perdit beaucoup de son crédit. Il fut alors très critiqué, son rapport aux conférences de Malines ressortit de l’oubli et, finalement, notre bénédictin fut assigné à résidence à l’abbaye d’En-Calcat en 1932, loin de son prieuré œcuménique.

LA SEMAINE DE L’UNITÉ

En 1934, il accepta un ministère d’aumônier de religieuses et renoua, le plus souvent clandestinement, des contacts avec les partisans du nouvel œcuménisme, qui commençaient à se multiplier.

Il s’employa à agrandir encore le cercle de “ ses amis ”, au rang desquels il faut évidemment placer l’abbé Paul Couturier (1881-1953), prêtre du diocèse de Lyon, professeur de physique. C’est lui qui, en 1932, reprit l’idée d’une semaine de prière pour l’unité des chrétiens, initiative déjà lancée sous saint Pie X pour obtenir le retour des schismatiques dans l’Église ; mais l’abbé Couturier, lui, proposa cette semaine de prière à tous les chrétiens, pas uniquement aux catholiques. Il s’agissait « de prier pour l’unité, afin de demander à Dieu qu’elle se fasse quand il le voudra et comme il le voudra ». Le “ comme il le voudra ” ne serait évidemment pas passé sous saint Pie X !

Le Père Paul Couturier

Le Père Paul Couturier

L’abbé Couturier n’était pas un homme de doctrine, c’était un doux, un “ spirituel ” qui suscita beaucoup de sympathie. Par exemple, il se lia d’amitié avec le pasteur Brémond, de Lyon, qui l’appelait “ le plus humble des hommes ” ! Plus tard, après le Concile, on dira de lui « qu’il a changé le climat entre les frères séparés, catholiques, orthodoxes, réformés et anglicans. Avant lui, les catholiques étaient orgueilleux, ils voulaient convertir les autres, prétendaient avoir la vérité et argumentaient. Avec lui, on laissa de côté ces questions doctrinales, sans les nier, mais on fit passer en premier “ la charité ”. » Comprenons : “ l’ouverture à l’autre ”.

Avec dom Lambert, l’abbé Couturier est à l’origine du groupe des Dombes, du nom de l’abbaye cistercienne près de Lyon, où ils réunissaient une quarantaine de théologiens protestants et catholiques pour dialoguer.

Un autre de leurs amis communs, promis à un bel avenir dans l’Église conciliaire, fut le pasteur Schutz, fondateur de Taizé.

LA RÉVOLUTION CONCILIAIRE

Mais, parmi les relations de dom Lambert, celle qui jouera peut-être le rôle le plus décisif fut Mgr Roncalli. Dom Lambert l’avait initié à l’histoire de l’Église orientale au moment de sa nomination comme visiteur apostolique en Bulgarie et il l’avait retrouvé avec joie à Paris, après la guerre. À la mort de Pie XII, dom Lambert, déjà malade – il mourra en janvier 1960 –, avait confié à des visiteurs que si Roncalli était élu pape, « nos idées », comme il disait, s’imposeraient. C’est ce qui arriva.

 Leurs idées ” avaient pris, avec le temps, une tout autre ampleur qu’une simple ouverture aux autres, teintée de naïveté et de mauvais esprit contre l’Église. À la suite du Père dominicain Yves Congar, une nouvelle théologie se mettait en place.

En 1928, l’année même de Mortalium animos, celui-ci qui n’était encore que novice, ressentit un appel à œuvrer pour l’unité des chrétiens. Avec lui, l’œcuménisme ne serait plus le simple retour au bercail des chrétiens non catho-liques, mais « la possibilité d’un développement qualitatif de la catholicité » ! Autrement dit, la catholicité ne devait plus être liée strictement à l’Église catholique, mais ses caractéristiques allaient se retrouver aussi chez les autres et elle profiterait de leurs richesses. C’est la reconnaissance de cette extension, orgueilleusement niée depuis des siècles, qui serait décisive pour refaire l’unité scandaleusement brisée.

Le pape Jean XXIII, le cardinal Béa et le pasteur Schutz.

Le pape Jean XXIII, le cardinal Béa

et le pasteur Schutz.

Cette thèse allait triompher au concile Vatican II, par l’action déterminante du Secrétariat pour l’Unité, mis en place par Jean XXIII et confié au cardinal Béa. Ce jésuite, bibliste renommé, avait eu une influence considérable dans l’évolution des sciences exégétiques sous le règne de Pie XII, dont il était l’ami et le confesseur. Ses études l’avaient amené aussi à lier des relations étroites avec les autorités juives.

C’est sous sa gouverne, et celle de son adjoint puis successeur zélé, le cardinal hollandais Willebrands, que le Secrétariat prit en main l’élaboration du texte conciliaire, Unitatis Redintegratio.

Notre Père a fait une analyse détaillée et une critique implacable de ce texte (Autodafé, p. 169-242, et Préparer Vatican III, p. 207-225). Critique laissée sans réponse, et pour cause !

Résumons-la ici : le titre du décret indique déjà le ralliement de l’Église à l’œcuménisme développé par les protestants pour aboutir au COE, auquel les orthodoxes venaient d’adhérer à la veille du concile Vatican II. En effet, la première rédaction s’intitulait : Des principes de l’œcuménisme catholique ; après la correction du Secrétariat pour l’Unité, le titre définitif sera : Des principes catholiques de l’œcuménisme.

Alors que Notre-Seigneur n’avait institué qu’ « une seule et unique Église », on considérait maintenant à égalité les Églises fondées par d’autres sous son Nom ! « Heureusement, continue le Concile, l’Esprit-Saint a suscité, en ces derniers temps, dans les chrétiens divisés entre eux (mais non avec Dieu, soulignait Congar !) un désir de réunion et un mouvement dont le but est de retrouver une Église de Dieu, une et visible, vraiment universelle. » Cette unité est à faire pour que le monde puisse se convertir « à l’Évangile ». Notre Père commenta immédiatement : « Dans ce texte, Vatican II oublie, ou plutôt il nie l’Unité, la Sainteté, l’Excellence de sa propre Église. Pour lui, l’Église est à refaire avec tous ! »

L’abbé Ratzinger et le Père Congar

L’abbé Ratzinger et le Père Congar

Pour en arriver à cela, le Concile ment par omission en passant sous silence « la tare originelle de tous les schismes et de toutes les hérésies, qui est un péché de rébellion contre l’Église, donc contre le Christ et contre Dieu. Or, le Concile admet qu’ils sont restés en communion avec Dieu Père, Fils et Saint-Esprit, tout en n’étant plus “ dans la pleine communion de l’Église catholique ” !!! »

Pour nos œcuménistes, il y a eu « faute des personnes de l’une et de l’autre partie », elles ont entraîné un certain nombre de malentendus que « le mouvement œcuménique tend à surmonter ».

« Alors, constate l’abbé de Nantes, l’Église fait le compte de ce que les frères séparés ont gardé de catholique et s’en réjouit ; elle les reconnaît comme des frères (malgré eux !), elle les promeut comme participants de la grâce de salut de l’Église. Leurs dissidences sont des communions de salut, quoiqu’elle juge, mais de son point de vue ! selon sa foi ! qu’ils souffrent pourtant de déficiences. Voilà le pluralisme protestant adopté par l’Église romaine ! »

Il s’ensuit un double mouvement : dans un premier temps, le texte conciliaire s’en prend à l’Église dont il fait une étude critique de la foi et des institutions, puis, dans un second temps, il fait preuve d’une admiration croissante de toutes les dissidences. De ce fait, « la pratique œcuménique n’aura d’autre résultat que d’éloigner les catholiques de leur propre Église et de les dérouter loin de leur foi. »

Cinquante ans plus tard, qui osera dire que l’abbé de Nantes s’est trompé ? Nos œcuménistes sont d’autant plus impardonnables qu’ils avaient déjà fait la triste expérience de cette désorientation avant le Concile. Par exemple, l’un des premiers disciples de dom Lambert perdit la foi, deux se firent orthodoxes russes, et trois novices, reçus après une conversion de l’anglicanisme ou de l’orthodoxie, quittèrent le noviciat pour retourner à leur ancienne allégeance.

L’herméneutique de la continuité, chère à Benoît XVI, n’est donc qu’un leurre pour dissimuler la faille qui sépare la foi catholique de la doctrine de Vatican II. Elle condamne davantage d’âmes à y tomber et à s’y perdre !

L’AMNÉSIE DU PÈRE IRÉNÉE BEAUBIEN

Nous trouvons une preuve entre mille de cette rupture, dans la page du site internet des jésuites en Amérique, consacrée au Père Irénée Beaubien, la grande figure de l’œcuménisme au Canada. On y lit l’allocution que le bon Père prononça le 17 janvier 2007 en réponse à un hommage que le séminaire de Montréal lui décernait :

Le Père Irénée Beaubien

Le Père Irénée Beaubien

« Je considère comme un grand privilège d’avoir pu consacrer une grande partie de ma vie au lancement et au développement du mouvement œcuménique à Montréal et ailleurs. Déjà avant Vatican II, il me paraissait nécessaire et important d’établir des lignes de communication entre les croyants catholiques et les croyants des autres dénominations chrétiennes, et aussi avec les juifs. Important de nous débarrasser de nos préjugés les uns à l’égard des autres. Important d’apprendre à prier ensemble en union avec la divine prière du Christ à la dernière Cène. Important de concevoir et d’inventer ensemble des projets en fonction des besoins et du bien commun d’une société et d’une humanité dont nous sommes solidaires.

« En d’autres mots, dès 1958, j’avais pleine connaissance que le meilleur moyen de travailler à la réconciliation et à l’unité des chrétiens, c’était de nous engager dans le mouvement œcuménique lancé officiellement en 1910 par les autres Églises chrétiennes. »

Et c’est bien ce que le Père Beaubien fit, d’abord d’une manière clandestine de 1958 à 1962, puis avec l’accord du cardinal Léger. Mais notre jésuite oublie de dire ce qu’il faisait avant 1958, avant un voyage en Europe qui le conduisit en particulier auprès des successeurs de dom Lambert.

Sur le même site, dans les quelques notes biographiques le concernant, on peut lire : « à Montréal en 1952, le Père Beaubien fonde le Forum catholique, lieu de renseignements et d’échanges sur le catholicisme. » C’est ce qu’on appelle un mensonge par omission, car la finalité de ce Forum était la conversion des protestants au catholicisme, comme le Père Beaubien l’explique lui-même dans un petit livre édité en 1955 et intitulé « L’Unité chrétienne au Canada ». Citons la conclusion qui fait le bilan de ses trois premières années d’activités :

« Il est difficile de déterminer avec exactitude les résultats des efforts apostoliques du Forum. Bon nombre de ces résultats sont tangibles : préjugés détruits, meilleure connaissance des positions catholiques, etc. À cette date, les différents services du Forum ont contribué à la conversion de près de deux cents adultes.

« Nous sommes fiers de nos convertis. Presque tous se confessent une fois par mois et communient chaque dimanche. Plusieurs assistent à la messe tous les jours. Deux s’orientent vers le sacerdoce. Nous sommes à en préparer cinq qui donneront des causeries sur des sujets mal compris par les non-catholiques : l’infaillibilité du Pape, la confession, l’indissolubilité du mariage, la dévotion à la Sainte Vierge, le purgatoire et les indulgences. Les convertis manifestent beaucoup de gratitude à l’égard de ceux qui les ont aidés à entrer dans l’unique bercail du Christ et il n’est pas rare qu’ils recrutent d’autres auditeurs pour le Forum. (...) »

Il n’y a pas de doute que le Père Beaubien a été désorienté lors de son voyage en Europe, comme les évêques le seront au Concile !

INTERCOMMUNION ET CHARISMATISME

En plus de ce dégoût qui s’empare des catholiques pour leur propre Église, l’œcuménisme conciliaire va être le prétexte d’intercommunions mollement condamnées par le Saint-Siège, dans la logique même de l’erreur doctrinale qui présida à la rédaction du décret conciliaire Unitatis Redintegratio. Puisque nos “ frères séparés ” de l’Église catholique ne le sont pas de Dieu, on ne voit pas pourquoi on leur interdirait de communier au Corps et au Sang du Christ qu’ils ne discernent pourtant pas, nonobstant les gravissimes avertissements de saint Paul ! D’ailleurs, le décret conciliaire rappelle l’interdiction d’une manière hypocrite : « Cependant, il n’est pas permis de considérer la  communicatio in sacris  comme un moyen à employer sans discernement pour rétablir l’unité des chrétiens. » Que ce sans discernement est digne des pharisiens !

Alors, on ne s’étonnera pas qu’en septembre 2011, lors de l’installation du nouvel archevêque de Sherbrooke, pasteurs et femme-pasteur, placés dans le chœur de la cathédrale au premier rang du clergé, communièrent au Corps et au Sang du Christ, sans que cela provoque la moindre réaction ni du Nonce apostolique qui célébrait, ni des autres évêques, ni du clergé sherbrookois, tous doués certainement de l’esprit de discernement conciliaire !

Une autre conséquence majeure de l’œcuménisme conciliaire est le mouvement charismatique. Il est né au début de 1967 à l’université de Pittsburg aux États-Unis. Deux professeurs de théologie laïcs de cette université catholique, déçus de leur engagement au sein des mouvements liturgique, œcuménique, apostolique et pour la paix, cherchèrent à retrouver la puissance, la force de l’Église primitive qu’ils ne ressentaient pas dans l’Église catholique. Ils allèrent donc s’adresser à une Église pentecôtiste.

Le 20 janvier 1967, les deux professeurs reçurent le baptême dans l’Esprit des mains d’un groupe pentecôtiste, et tout de suite, ils se mirent à parler en langues. La semaine suivante, ils imposèrent les mains à deux autres personnes, et elles aussi furent toutes transformées, et éprouvèrent comme un jaillissement intérieur. Et voilà, le mouvement charismatique au sein de l’Église catholique était lancé... C’est lui que le cardinal Ratzinger considéra en 1984 comme « certainement un don de Dieu à notre temps » !

Et pourtant, il s’agissait d’un acte pratique d’apostasie. Car, lorsqu’on a l’insigne honneur, la grâce d’avoir reçu de notre sainte Mère l’Église, par le baptême et la confirmation, le don plénier du Saint-Esprit, avoir l’audace de s’adresser à une secte pour réclamer un nouveau baptême et un nouveau don de l’Esprit, c’est faire injure au Christ et à son unique Épouse, l’Église catholique romaine qu’il a fondée et établie comme l’unique dépositaire et dispensatrice de sa grâce.

Mais pour le comprendre, encore faut-il ne pas être passé par le mouvement œcuménique conciliaire qui nous a appris à mépriser l’Église catholique.

L’ŒCUMÉNISME DE VATICAN III

Est-ce à dire qu’il faille être contre l’œcuménisme ? Eh bien, non ! Il y a un œcuménisme catholique que Vatican III définira et encouragera, explique notre Père. Il reposera sur la proclamation de l’Unité de l’Église et de son apostolicité. Il se fondera sur la distinction entre l’hérésie ou le schisme matériel, et la même dissidence formelle. Il s’ensuivra une pastorale œcuménique :

« Autant l’Église romaine doit se méfier de l’orgueil des grands, de l’obstination de ceux des dissidents qui la connaissent bien et depuis longtemps, mais ne veulent pas se convertir... Autant, elle peut être pleine de sympathie pour les pauvres, les humbles qui ne la connaissent qu’à travers les murs opaques de préjugés séculaires, mais qui n’ont jamais formellement péché contre elle. À ceux là qui désirent l’unité, l’Église se plaira à montrer que déjà mystérieusement l’union est faite dans la foi, dans la grâce des sacrements conservés, dans la piété et les vertus puisées à la source évangélique de la tradition commune. »

Autant est périlleuse la théorie du dialogue, autant sa raison d’être est magnifique : « Rome se tourne vers ceux qui l’entourent en larges cercles concentriques, car leur centre, c’est Rome. Au lieu d’un œcuménisme centrifuge, l’avenir est à l’attirance rayonnante de l’unité romaine.

« Cela ouvre d’heureuses perspectives :

« D’abord, refaire dans la dignité et l’honneur, l’unité entre catholiques latins divisés par la Réforme conciliaire.

« Ensuite, réchauffer l’unité entre catholiques d’Orient et d’Occident, acceptant, admirant la diversité sans en faire un absolu allant jusqu’à mettre en péril l’unité romaine.

« Puis mettre en pleine lumière la communion qui subsiste dans la foi, les sacrements, tout ce qui nous est commun avec les Orientaux jetés presque à leur insu dans le schisme pour des questions de prestige et d’intérêt temporel, mais aussi, en Occident, avec les anglicans ! et avec les survivants de la “ Petite Église ” ou des “ Vieux-Catholiques ”. C’est là que l’intuition de Jean XXIII était quasi assurée du succès. La conversion du patriarche de Constantinople, ou du métropolite d’Athènes, ou de la reine d’Angleterre, pourquoi pas ? suffirait à ramener des peuples entiers dans l’Église.

« Enfin, traiter des hérésies intellectualisées et caractérisées, c’est-à-dire du protestantisme sous toutes ses formes, avec énergie, pour en éclairer les membres sincères sur la nécessité du retour à la seule Église salvatrice. Vatican III devra proclamer l’erreur de la doctrine dans ses principes mêmes, l’invalidité de la plupart des pseudo-sacrements, les falsifications graves de la morale divine.

« Loin d’accorder le moindre adoucissement à l’interdiction de toute communication dans les choses sacrées, il la renforcera, de peur que les membres les plus humbles de ces terribles hérésies ne soient détournés de se convertir et s’enfoncent alors invinciblement dans leur erreur.

« Si même aucun résultat spectaculaire n’est à espérer, à vues humaines, c’est là – parce que Vatican III fera tout son devoir de fidélité catholique – que pourra être reprise la conclusion du décret conciliaire qui fait confiance au Saint-Esprit pour réussir ce qui est impossible aux hommes (n° 24).

« Tant de résurrections qu’on estimait impossibles se sont vues dans l’histoire ! Par miracles ou par châtiments, Dieu peut venir en aide aux missionnaires et aux prédicateurs œcuméniques de son Fils.

« Demain Vatican III, après-demain peut-être, nous l’espérons, le retour en masse des Orientaux tout à la fois délivrés du communisme et du schisme, le retour des Anglais désaffectionnés de leur anglicanisme insulaire, et les conversions des protestants à un rythme universellement accéléré. C’est alors, oui, conformément à la pensée apostolique des œcuménistes contemporains, que les chrétiens enfin réunis pourront partir à la conquête du monde, selon la parole du Christ : “ Qu’ils soient UN pour que le monde croie. ˮ Qu’ils soient Un, comme Vous et moi nous sommes Un : c’est l’urgence fondamentale de l’œcuménisme catholique dont la source est divine et les moyens surnaturels. Afin que le monde croie, c’est la moisson promise à ceux qui sèment dans les larmes.

« Faisons Vatican III, et les temps du triomphe mondial du Christ-Roi viendront. »

RC n° 192, novembre 2011, p. 1-6