LE RÉGIME FRANÇAIS
La défense de la Nouvelle France (1663-1701)
LE RÉGIMENT DE CARIGNAN
UNE tâche des plus urgentes s’impose au jeune roi Louis XIV : assurer immédiatement le salut de la Nouvelle-France et l’établir enfin dans la paix. En 1665, il fait traverser l’Océan au prestigieux régiment de Carignan-Salières qui vient, l’année précédente, de se distinguer contre les Turcs à la bataille du Saint-Gothard. Le lieutenant-général, marquis de Tracy, devra le mettre en œuvre aux fins de montrer la puissance de la France aux Iroquois et les contraindre à signer un véritable traité de paix. Québec ovationne, comme des libérateurs, les 1 200 hommes, répartis en vingt compagnies, qui le composent.
Les opérations militaires commencent sans tarder. La première tâche est de contrôler la rivière Richelieu, naguère encore dite “ des Iroquois ”. Pour cela, quatre forts sont édifiés : Saint-Louis, Sainte-Thérèse, Saint-Jean et Sainte-Anne. Cependant, si les soldats combattent, on prie Dieu instamment de leur donner la victoire ! N’est-ce pas une cité sainte, la Chrétienté, que l’on prétend ici bâtir, défendre et renforcer ?
Le secours de la province est dans le nom du Seigneur. « Ce qui anime les soldats, écrit Marie de l’Incarnation, c’est qu’ils vont à la guerre sainte et qu’ils vont combattre pour la foi. Il y a cinq cents soldats qui ont pris le scapulaire de la Sainte Vierge, c’est nous qui les faisons. La plupart des soldats disent le chapelet de la Sainte Famille tous les jours. » Les sacrements leur sont prodigués par quatre aumôniers qui les accompagnent dans l’expédition. Et toute la durée des opérations, pour en obtenir le succès, dans chaque église de la province, le clergé expose le Saint-Sacrement à l’adoration des fidèles. Une première tentative fut sans lendemain, menée en plein hiver ! L’expédition décisive conduisit en octobre 1666, au cœur du pays des Agniers, l’actuel État de New York, six cents de nos soldats, autant de miliciens assistés d’une centaine de Hurons et d’Algonquins.
Un tel déploiement de force chasse les Iroquois de leurs villages que nos soldats livrent aux flammes. Quelques jours de cette campagne-éclair décident de la paix. Ainsi, une expédition de deux mois, pratiquement sans pertes humaines, mettait fin pour les colons à vingt-cinq ans de cauchemar. Dix-huit années de tranquillité vont s’ensuivre.
En 1668, le régiment peut repasser l’Océan, mission accomplie, laissant quatre cents de ses hommes qui s’établissent au pays. C’était un désir royal de voir s’accroître la petite Chrétienté et des propositions en ce sens leur avaient été faites. On attribue seigneuries aux capitaines, semences et outils aux soldats pour faciliter leur installation, ces derniers le plus souvent comme censitaires de leur capitaine. On leur partage en lots la plantureuse rive-sud qu’ils viennent de libérer de la menace iroquoise. Ce sont aujourd’hui les villes de Sorel, Berthierville, Varennes, Chambly, Contrecœur, Rougemont, La Valtrie, etc. Elles perpétuent les noms des officiers qui s’en firent les colonisateurs.
Le régiment de Carignan rentré en France, la relève pour la défense du pays est assurée par les troupes de la marine, c’est-à-dire celles que le ministère de la marine envoie de France. On comptera leurs effectifs de six cents à sept cents hommes. L’administration recrute le corps des officiers dans les familles de l’aristocratie canadienne qui va donner à cette petite armée l’avantage de sa connaissance du pays et de son climat. Quant aux soldats, engagés en France pour une longue durée, ils logent, en temps de paix, chez les habitants qui peuvent les employer comme journaliers.
FRONTENAC
Près de vingt ans durant, Louis de Buade, Comte de Frontenac, gouvernera le Canada. Lors de son premier mandat de gouverneur, de 1672 à 1682, il entretient la paix et, par une habile diplomatie, concilie à la présence française la plupart des nations indiennes. Cette ouverture vers l’intérieur du continent lui permet d’envoyer des missions exploratrices dans des régions encore ignorées. C’est ainsi que Jolliet et le jésuite Marquette découvrent le Mississipi, et qu’un des protégés du gouverneur, Cavelier de la Salle, poursuit la reconnaissance du fleuve jusqu’à son embouchure. C’est encore à l’invitation de Frontenac que Cadillac fonde Détroit pour drainer au profit de la France le commerce des fourrures de l’immense réservoir pelletier que constitue le bassin des Grands-Lacs. Cependant, l’humeur fantasque et autoritaire du gouverneur Frontenac, sa hauteur gallicane aussi le brouillèrent avec Mgr de Laval et son clergé, puis avec l’intendant, ce qui provoqua le Roi à ordonner son rappel. C’était en l’an 1682.
Les défauts de cet homme remarquable étaient peut-être ceux de ses qualités... Ses successeurs, sans avoir les premiers, n’eurent pas plus les secondes. Leurs maladresses tranchent avec son habileté. L’un d’eux commet la faute, en 1688, de retenir captifs les Iroquois envoyés en ambassade. Il s’agit rien de moins que de les envoyer en France... aux galères ! Les Iroquois reprennent alors le sentier de la guerre. Le gouverneur de New York les y incite et les arme. Le peuplement anglais sur la côte prend de l’importance et cette ville est colonie britannique depuis 1664. Dans la nuit du 4 au 5 août 1689, mille cinq cents guerriers fondent sur le petit village de Lachine, non loin de Ville-Marie. Ils y massacrent vingt-quatre habitants en des actes de cruauté inouïs. Cinquante autres sont emmenés captifs dont quarante-deux périront brûlés. Les contemporains virent là un châtiment divin du commerce de l’alcool qu’on pratiquait dans ce village, à l’encontre des décrets de l’autorité religieuse et civile. Ce coup terrible alerte tout le pays qui s’attend désormais à voir de nouveau les Iroquois frapper où bon leur semble.
C’est que, derrière les Indiens, la puissance anglaise pousse l’avantage redoutable de son nombre croissant et de sa richesse. Frontenac revient à Québec : il a soixante-treize ans. Le Roi lui rend en hâte le gouvernement du pays, qui donne à la mère patrie l’image fidèle du péril nouveau qu’elle encourt elle-même. Souvenons-nous toujours de cette date fatale de 1689, année où Louis XIV refusa la demande du Sacré-Cœur de lui consacrer sa personne et son royaume en échange d'une protection divine particulière. Le refus royal entraîna des désastres.
D’une rive à l’autre de l’Océan va gronder l’écho des malheurs de la France. Le promoteur de ce vaste dessein antichrist dressé contre la nation très chrétienne est le très fanatique Guillaume d’Orange, nouveau roi usurpateur d’Angleterre, ennemi sans remède de tout ce qui porte le nom catholique.
La guerre va donc embraser de nouveau le Canada, jusqu’en 1713. On pourrait en évoquer bien des faits d’armes. L’un d’eux surtout attire notre regard, tant y resplendit encore la faveur de Jésus-Christ pour son petit peuple de prédilection. C’est la délivrance miraculeuse de 1690.
NOTRE-DAME DE LA VICTOIRE (1690)
En cette année-là, les colonies anglaises font converger deux puissantes armées vers le Canada. Le général Winthrop dirige l’une, forte de deux mille hommes, lui faisant descendre le cours du Richelieu, tandis que l’autre remonte celui du Saint-Laurent, sous les ordres de l’amiral Phipps. L’amiral commande à trente-quatre vaisseaux porteurs de deux mille trois cents soldats engagés en Angleterre et à Boston. Frontenac ordonne aussitôt la levée de toutes les milices du pays. Mais Mgr de Saint-Vallier désigne à tous les Français le véritable rempart de leur cité et le profond caractère de l’entreprise que ses adversaires mènent contre elle. Il les exhorte en effet à se placer dans le giron de la Très Sainte Vierge Marie, plus puissante qu’une armée en ordre de bataille.
Arrivé à portée de canon du cap Diamant, l’amiral Phipps envoie un émissaire sommer Québec de se rendre dans les deux heures. Ce vieillard de Croisade et d’épopée française, Louis, comte de Frontenac, dans la droiture magnifique de sa fermeté, s’étant fait entourer de tous ses officiers, donne à l’Anglais la seule réponse que méritait son audace : « Allez dire à votre maître que je lui répondrai par la bouche de mes canons. » Tous les Canadiens français connaissaient par cœur cette réplique au temps où ils apprenaient leur histoire.
Le combat d’artillerie s’engage aussitôt. Les canonniers protestants visent particulièrement le clocher de la cathédrale, montrant ainsi la grimace hideuse de l’impiété qui anime leurs menées agressives. Pour en détourner leurs coups, Mgr de Saint-Vallier y fait suspendre un tableau de la Sainte Famille qu’il a fait emprunter aux ursulines. Il le leur rendra quelques jours plus tard intact.. comme le clocher. En aval de Québec vers Beaupré et Beauport, mille cinq cents Bostoniens débarquent avec des canons. Heureusement, les habitants que leur curé mène à l’assaut, et les miliciens qui s’embusquent dans les taillis, les rejettent au fleuve en leur infligeant de lourdes pertes.
La fin octobre annonce déjà la proximité de l’hiver et de ses premiers froids. Craignant de laisser saisir ses vaisseaux dans les glaces, l’amiral anglais ne sachant plus comment forcer la résistance imprévue des Français, ordonne de lever l’ancre. À cette nouvelle, le général Winthrop décide aussi le retrait de ses forces que ravage déjà la petite vérole. Rien, sinon la foi, ne laissait prévoir une telle issue à ce combat. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, attestant la protection divine : les Canadiens comptent six tués, et les Anglais cent fois plus ! Le miracle est manifeste qui procura cette victoire.
Et tous les cœurs canadiens en rendent grâce à l’intercession de la Sainte Vierge. Cette victoire est la sienne, ils le proclament lors de la grandiose cérémonie par laquelle le sanctuaire de la basse-ville de Québec lui est dédié sous le vocable de Notre-Dame de la Victoire.
LES VICTOIRES DE LEMOYNE D’IDERVILLE
Mais la guerre ne s’achève pas ainsi, sur une défense héroïque et sainte. L’initiative du combat revient souvent à nos capitaines que le gouverneur Frontenac sait utiliser comme un seigneur qui connaît la guerre et ses hommes. L’un de ses officiers les plus célèbres fut Pierre Lemoyne d’Iberville, un filleul de Pierre Boucher. D’Iberville rétablit l’aire de notre domination jusqu’aux avant-postes de la Province. Digne émule de Jean Bart, le célèbre marin français terreur de la flotte anglaise, il n’hésite pas à attaquer dans la baie d’Hudson, avec son petit “ Pélican ”, trois gros navires anglais qu’il parvient à mettre hors de combat. En Acadie, où s’est développée non loin de l’Océan une population française d’environ deux mille âmes, il réussit à reprendre à l’ennemi le fort de Permaquid. Deux cents Indiens abénaquis menés par leur chef, le baron français de Saint-Castin qui vivait avec eux pour les garder fidèles à la France, s’étaient joints à lui pour ce coup d’audace.
À Terre-Neuve, d’Iberville ruine les pêcheries anglaises et consolide la petite colonie française de Plaisance. C’est encore à lui que Louis XIV fait appel pour fonder en 1699 un établissement en Louisiane. Il s’agit d’y prendre de vitesse les Anglais dont le projet est d’installer dans ces contrées nouvelles une colonie de protestants français émigrés. Là donc, il fonde le poste de Biloxi, et son frère, Lemoyne de Bienville, celui de Mobile.
LA GRANDE PAIX AVEC LES IROQUOIS (1701)
Les Iroquois étaient les alliés des Anglais parce qu'armés et payés par eux. Mais ils voyaient la différence entre l'alliance intéressée de ces protestants et l'alliance plus franche qu'entretenaient les Français avec leurs alliés autochtones. Si bien que les Iroquois en vinrent à écouter d’une oreille favorable les avances pacifiques du sage Frontenac. Le grand administrateur meurt à la tâche en 1698, mais son œuvre le prolonge et le récompense.
Elle aboutit en 1701 par “ la grande paix de Montréal ”. Des deux ennemis, l’Anglais et le Français, les Indiens savent reconnaître le plus aimable et le plus juste. Mille trois cents émissaires de quatorze nations indiennes, dont les Iroquois et les Sioux, si lointains et si farouches, se rassemblent à Montréal pour recevoir solennellement la paix française et se l’accorder mutuellement. La paix entre Indiens ! Nul n’y eût songé auparavant ! Le vrai règne du Christ est là, Rex pacificus, accordant la civilisation à ces nations qui ne la connaissaient pas, malgré ce qu’on en dit aujourd’hui pour rendre d’autant moindres les bienfaits de la pacification française.
Un fait l’illustre qui la sépare des entreprises anglaises de la côte-est du continent et qu’on ne peut nommer colonisation. L’un des chefs hurons mourant subitement au cours de l’assemblée, Français et Indiens le conduisent en terre lors de funérailles solennelles. On le revêt de l’uniforme des troupes de la marine dont il porte le grade honoraire de capitaine, et les honneurs militaires lui sont rendus.
La France ainsi a su se faire aimer autant qu’admirer car le dessein qu’elle poursuit élève les peuples plutôt qu’il les abaisse.