LE RÉGIME FRANÇAIS

Le Canada français, création divine

DANS la section précédente, nous avons retracé les premières tentatives de fondation d’une colonie française en Amérique du Nord. Ces tentatives étaient vouées à l’échec. Le coup de grâce leur fut donné en 1629 lorsque les Anglais prirent Québec.

Pourtant, il y aura bien une Nouvelle-France ! Nous savons qu’elle a existé et qu’elle fut une belle réussite. C’est ce qu’il nous faut maintenant raconter... et expliquer. Car il importe de donner la clef de la prodigieuse histoire que l’on va lire. Quel secret, quel mystère, quelle force rendent compte de ce retournement de l’histoire ?

Aucun des obstacles rencontrés par Champlain avant 1629 ne disparaît après cette date. Et ils ne semblent pas moins insurmontables. Le climat est évidemment toujours aussi rigoureux. “ Faire de la terre ” coûte toujours autant de peine et de misère. Les Anglais continuent à vouloir empêcher toute implantation française et à convoiter le Canada. Les Iroquois viennent bientôt semer la terreur sur les rives du Saint-Laurent. Enfin, la subsistance de la colonie demeure, et pour longtemps encore, dépendante d’une compagnie à monopole et il faudra attendre plus de trente ans pour voir débarquer le premier régiment royal.

Malgré cela, l’impossible fondation d’une colonie française en Amérique du Nord est devenue une réalité ! L’historien cherche une explication. D’une manière générale, il met en avant la personnalité exceptionnelle des “ fondateurs ” que nous verrons bientôt débarquer à Québec. Après Champlain, voici les Pères jésuites conduits par des supérieurs remarquables : successivement les PP. Le Jeune, Jérôme Lalemant et Ragueneau. Qui ne connaît leurs grands martyrs dont les saints Jean de Brébeuf et Isaac Jogues ? Puis viennent les grandes fondatrices et mystiques : la bienheureuse Catherine de Saint-Augustin, Jeanne Mance. Enfin, l’on admire les chefs valeureux et les héros comme Maisonneuve, Lambert Closse et Dollard des Ormeaux.

Mais après avoir reconnu ces chefs-d’oeuvre de la nature et de la grâce, l’historien tourne vite la page et élude la question essentielle : comment ces âmes d’élite se sont-elles toutes trouvées réunies sur les bords du Saint-Laurent ? Est-ce le fruit du hasard, de l’intérêt ou un dessein de la Providence ? Là est le point négligé par les historiens contemporains, que nous voudrions précisément souligner et commenter. Son importance est capitale. La conclusion à laquelle conduit notre histoire se laisse d’emblée entrevoir : le Canada est une création divine. Pour notre Histoire canadienne comme pour l’Histoire sainte de France tout s’éclaire dès que l’on reconnaît le dessein divin, car il est « la clef qui nous introduit le mieux à la compréhension surnaturelle des temps que nous avons vécus et de ceux que nous allons vivre, par la connaissance des causes divines et des effets, des raisons terrestres et des suites célestes de notre histoire humaine que conduit Dieu. » (CRC no 198, p. 6)

Précisons enfin que tous les événements qui vont suivre, aussi extraordinaires soient-ils, résistent à la critique historique la plus sévère. Cette certitude est précieuse : elle fait taire les sarcasmes et donne aux Canadiens français une légitime fierté de leurs origines.

CONSÉCRATION DU CANADA À SAINT-JOSEPH

Tout porte à croire que c’est devant cette peinture que les Récollets consacrèrent le Canada à saint Joseph.

Revenons un peu en arrière. À l’été 1624, les quatre missionnaires récollets réunis à Québec, ayant dressé le constat d’échec de leur apostolat, décident de remettre le Canada entre les mains de saint Joseph. Toute la population, Champlain en tête, s’associe à eux. « Nous avons fait, écrit le Père Le Caron, une grande solennité où tous les habitants se sont trouvés et plusieurs sauvages, par un vœu à saint Joseph, que nous avons choisi pour le patron du pays et protecteur de cette Église naissante. » À partir de ce jour s’enchaînent des événements heureux pour la foi et la civilisation au Canada, autant de signes visibles du patronage du grand saint Joseph. Déjà, l’accession du duc de Ventadour à la vice-royauté et l’arrivée des Pères jésuites en 1625, puis la formation dela Compagnie des Cent-Associés, en 1627, peuvent être rangées parmi les bienfaisantes conséquences de cette consécration.

Mais la prise de Québec en 1629 ne vient-elle pas contredire cette protection ? Au contraire ! Dans ce revers, elle devient encore plus tangible. Par sa fière réponse de 1628 à l’ultimatum de David Kirke, Champlain avait obtenu un répit de quelques mois. Insignifiant, pensera-t-on, puisqu’il n’empêcha pas la reddition de la ville l’année suivante ! Mais non, c’est lui qui précisément fut déterminant pour l’avenir du pays. Car durant ce court délai la paix avait été signée entre la France et l’Angleterre. La conquête du Canada en temps de paix devenait, par le fait, illégitime. Aussitôt débarqué en Angleterre par les Kirke, Champlain met donc tout en œuvre pour obtenir la restitution du Canada, ce qui sera acquis trois ans plus tard lors du traité de Saint-Germain (1632).

L’année suivante, le “ Père de la Patrie ” est de retour au Québec. Mais tout y est à rebâtir ! On ne voit pas quelles raisons matérielles pourraient inciter des Français à venir s’y établir ! Vraiment, il y faudra des raisons surnaturelles et rien de moins que des interventions divines.

UNE VOLONTÉ DIVINE

En effet, si dans la France chrétienne du XVIIe siècle de nombreuses âmes sont rapidement intéressées par les perspectives missionnaires de l’entreprise de Champlain et des premiers jésuites, il en est quelques-unes qui reçoivent au sujet de la Nouvelle-France des grâces insignes qui sont d’une grande portée pour l’histoire de la colonie. Nous n’évoquerons pour le moment que deux de ces âmes privilégiées. Chacune est à l’origine d’une œuvre canadienne fondamentale. L’une, Marie de l’Incarnation, est religieuse du monastère des Ursulines de Tours ; l’autre, Jérôme de la Dauversière, est collecteur d’impôts à La Flèche.