Le Canada-français et le Maréchal Pétain

Le Maréchal PétainEN décembre 1938, dans un discours adressé à l’ambassadeur du Canada en France, le maréchal Pétain, d’habitude si réservé dans l’expression de ses sentiments, expliqua les raisons de sa sympathie pour « ces admirables groupes de Canadiens français d’aujourd’hui qui comptent plus de cinq millions d’habitants au Canada et aux États-Unis. (…) J’affirme que la raison profonde de la vitalité des Canadiens-français réside dans le maintien de leurs traditions familiales. (…) Profondément attachés aux coutumes, à la langue et à la foi de leurs pères, ils sont restés opiniâtrement fidèles à la terre nourricière en pratiquant les vertus qu’elle exige. C’est ainsi qu’ils ont surmonté toutes les difficultés et sont parvenus à la prospérité. (…) Quelle reconnaissance ne devons-nous pas à la nation qui peut offrir en notre temps, un exemple et des enseignements d’une telle portée. »

Aussi, quand arriva pour la France le désastre de la défaite, le Maréchal trouva dans l’exemple du Canada-français une source d’espérance pour son œuvre de Révolution nationale qui s’inspirait des mêmes principes. En retour, les Canadiens-français allaient lui manifester une touchante fidélité.

1940-1942
UNE PROVINCE CATHOLIQUE, DONC MARÉCHALISTE

Le 17 juin 40, la nouvelle de l’armistice entre la France et l’Allemagne est accueillie avec soulagement et compassion dans la Belle Province. Les journaux de l’époque sont unanimes dans leur soutien au maréchal Pétain qui sauve encore une fois la France, mais maintenant en « sacrifiant son honneur d’invincible soldat ». En juin-juillet 1940, selon l’historien Robert Arcand, il n’est pas rare de trouver même parmi les quotidiens libéraux « une réelle sympathie à l’endroit de Pétain qu’ils considèrent comme le chef légitime de la France. Ils affirment que Pétain se devait de capituler (sic) en juin 1940 et jugent positive son influence au moment de l’armistice. Bon catholique et bien appuyé par le général Weygand, le Maréchal gouverne bien la France et agit dans le sens de l’intérêt de sa patrie, se préoccupant surtout d’éviter le maximum de souffrances aux français. Les éditorialistes croient même qu’il reste l’ami de l’Angleterre, malgré Mers El Kébir, et surtout soutiennent qu’il jouit d’une réelle autonomie à l’égard des Allemands ou de Laval. » Cette bienveillance des libéraux n’aura évidemment qu’un temps, mais même lorsque les critiques pleuvront dru sur le régime de Vichy, leurs éditorialistes respecteront, longtemps encore, « le vénérable M. Pétain » et affirmeront que « le héros de Verdun n’en reste pas moins digne de respect ».

Les organes de la presse nationaliste, quant à eux, analysent avec plus de profondeur doctrinale l’évènement de la défaite française. Doris Lussier, dans la revue mensuelle La Droite, en résumera bien le principal argument :

« La France vraie, celle de saint Louis et de Jeanne d’Arc, celle des corporations et des croisades, a jeté au linge sale sa défroque républicaine, anticléricale et laïque pour retrouver sous l’égide du glorieux Maréchal la figure traditionnelle et chrétienne qu’elle exhibait, rayonnante au monde, avant que les philosophes de l’obscurantisme révolutionnaire de 1789 ne l’aient voilée, salie et défigurée. »

Les nationalistes canadiens français considèrent donc que le sabordage de la République française est pour la France une délivrance qui la rend à elle-même. Elle redevient catholique, le Maréchal ayant tout de suite mis fin aux lois anticléricales. Elle retrouve un chef vénéré qui incarne l’autorité, et une autorité qui, comme le pressent bien Lussier, « se tient au-dessus et à distance aussi éloignée du libéralisme individualiste que du totalitarisme animal. »

C’est particulièrement le système social et économique que met en place le régime de Vichy, qui suscite un vif intérêt aussi bien chez nos intellectuels que dans le clergé. Il faut se rappeler, en effet, qu’en 1940, le Canada français vit encore sous le traumatisme de la crise de 29. En accentuant l’exode rural et en condamnant à la misère une grande partie des familles ouvrières, elle a suscité une grave crise religieuse et morale dont la chute de la pratique religieuse à Montréal et le succès de la propagande communiste sont d’alarmants symptômes. Entre communisme et capitalisme, l’Église prêche une troisième voie, le corporatisme, inspirée par les encycliques sociales des papes Léon XIII et Pie XI. Comme la Révolution nationale et les réformes entreprises par le gouvernement de Vichy se réclament souvent des mêmes principes, celles-là apparaissent tout naturellement aux intellectuels nationalistes comme une expérimentation de leurs théories.

Père Archambault, s.j,
Père Archambault, s.j,

Le père Archambault s.j., directeur des Semaines Sociales du Canada et du mensuel l’École sociale populaire, est un important relais, au Québec, de la doctrine et des réalisations sociales de la Révolution nationale. Il s’applique à en souligner les liens avec la philosophie sociale de Rerum Novarum, ainsi que les marques d’approbation du nonce apostolique, Mgr Valerio Valeri, et des principaux prélats français.

La Société Saint-Jean-Baptiste, qui regroupe l’élite de la province et se voue, depuis sa fondation en 1834, à la défense des intérêts canadiens-français, saisit tout de suite le profit qu’elle peut tirer de la doctrine morale et politique contenue dans les messages du Maréchal. C’est avec enthousiasme que les jeunes intellectuels qui la composent en entreprennent la publication, expliquant en préface de l’ouvrage que « Les harangues reproduites dans ces pages composent (…) un message sain, solide, conforme à la vérité […] Le programme de rénovation spirituelle et matérielle qu’elles proposent devrait inspirer nos cœurs dans la reconstruction nécessaire de notre pays. »

Il n’y a donc pas de doute que l’œuvre de restauration nationale entreprise par le maréchal Pétain eut un grand retentissement dans la province de Québec, apportant aux Canadiens-Français l’émotion de retrouver la France qu’ils « ont eue pour mère et dont ils sont fiers aujourd’hui de s’avouer les fils », revenue aux valeurs morales, catholiques et communautaires.

MacKenzie King en 1944.
MacKenzie King en 1944.

Cependant, le gouvernement fédéral ne partage pas cet enthousiasme du Québec pour un gouvernement qui a passé un armistice avec l’ennemi ; il le considère plutôt comme un facteur de démobilisation. Nous ne nous étonnerons donc pas de voir le Premier ministre fédéral, MacKenzie King, enclin à favoriser la France libre de de Gaulle, et d’autant plus que celui-ci est l’homme lige de son ami Churchill.

Pourtant, de juin à octobre 1940, le Fédéral qui reconnaît la stricte légalité et la légitimité du gouvernement de Vichy, n’entreprend aucune action officielle contre lui. Les fonctionnaires et les diplomates français au Canada, qui sont d’ailleurs des hommes éminents, restent en poste.

Les États-Unis qui ne désirent pas alors s’engager dans la guerre, confortent le Canada dans cette attitude, eux dont l’ambassadeur en France n’hésite pas à prendre la défense du Maréchal contre les calomnies répandues dans la presse par la propagande britannique, en juillet 1940.

LUTTE D’INFLUENCE

Toutefois, la politique de collaboration inaugurée à Montoire par le Maréchal en octobre 1940, surprend les Canadiens qui ne peuvent évidemment pas en connaître les ressorts cachés, ni en apprécier la sagesse. La presse écrite liée aux partis politiques la critique, en s’alignant sur la politique du gouvernement fédéral, donc sur celle de Churchill.

C’est alors que le mouvement gaulliste va chercher à s’implanter au Canada-français. Les péripéties de sa laborieuse progression dans la Belle Province sont racontées en détail dans le livre d’Éric Amyot « Le Québec entre Pétain et de Gaulle : Vichy, la France libre et les Canadiens-français, 1940-1945 », qui se distingue par son honnêteté intellectuelle. En effet, Amyot est de ces jeunes historiens des années 90 qui entreprirent d’en finir avec le mythe honteux d’un Canada français foncièrement favorable au maréchal Pétain et hostile au général de Gaulle. Mais une fois son ouvrage lu, on ne peut s’empêcher de constater que le mythe en question correspondait tout de même bien à la réalité...

Au printemps de 1941, c’est la venue au Canada de Thierry d’Argenlieu, provincial des carmes de Paris, capitaine de corvette de réserve ayant rallié les FFL et bientôt amiral par la grâce de de Gaulle, qui va donner au mouvement gaulliste, jusqu’alors groupusculaire, une certaine notoriété.

Pour contrer sa propagande, qui eut un certain succès parmi les élites religieuses et politiques de la ville de Québec, où on est moins nationaliste qu’à Montréal, le gouvernement de Vichy décide, en novembre 1941, d’envoyer M. Jean Ricard comme consul général de France. Catholique fervent, père de famille nombreuse, il est bien différent des jeunes premières comme Élisabeth de Miribel, qui font l’apologie de de Gaulle dans les allées du pouvoir. Quelques réceptions et causeries lui suffisent pour faire comprendre la situation exacte dans laquelle se trouve le Maréchal, surtout à l’élite du clergé et notamment au Recteur de l’université Laval. La force de ses arguments est telle que même les Français de Québec gagnés à la cause gaulliste, reviennent de leurs préventions. Cela nous indique aussi combien, à la fin de l’année 1941, la propagande gaulliste restait superficielle.

LE RALLIEMENT DU CARDINAL VILLENEUVE À LA CAUSE GAULLISTE

Paradoxalement, ce qui va surtout favoriser le mouvement gaulliste au Canada français en lui donnant une légitimité, c’est l’attitude du très nationaliste Cardinal archevêque de Québec, Mgr Villeneuve, celui-là même qui avait obtenu de Pie XII nouvellement élu, la décondamnation de Maurras et de l’Action Française.

Cardinal Villeneuve, archevêque de Québec.
Cardinal Villeneuve,
archevêque de Québec.

Moraliste réputé, le Cardinal considérait le nazisme comme incompatible avec la foi catholique et l’obéissance au gouvernement légitime comme un devoir. Pour ces deux raisons, il n’hésita pas un seul instant à soutenir la politique de guerre du gouvernement fédéral. Et il le fit avec ostentation, malgré les réticences des autres évêques de la province qui ne voulaient pas donner à leurs fidèles l’impression que l’épiscopat cautionnait du même coup la politique francophobe de Mackenzie King. Apparemment mal renseigné sur ce qui se passait réellement en France, il n’était surtout pas sans savoir que « la conviction profonde du pape Pie XII était que l’Église devait éviter de se compromettre avec le régime de Vichy qui n’était pas assuré de durer ». Il devint ainsi une proie facile pour les propagandes britannique et gaulliste, d’autant plus qu’il était sensible à la flatterie, et vaniteux à l’excès.

Sur les ondes courtes d’une station radio américaine Mgr Villeneuve adressa, le 21 décembre 41, un message aux Français à l’occasion de Noël. « Bien qu’affectant le respect d’usage au maréchal Pétain, souligne Amyot, l’allocution du cardinal représente une véritable mise en garde adressée au gouvernement de Vichy et un appel à la vigilance lancé à la population française. Première cible du prélat : la collaboration. (…)

« Il encense les Français libres qui alors que les maîtres de Vichy s’emploient à “ protéger quelques pans de maisons ”, d’autres “ plus éloignés, ont peut-être mieux vu à travers la fumée (…) ont décidé de s’employer à tout sauver ”. Le cardinal loue au passage le général de Gaulle “ qui, ayant gardé l’espoir de vaincre, n’a pas cru devoir briser son épée ”, et a répondu “ au conformisme par les audaces de l’épopée. ” (…) Il met également en garde l’État français contre la tentation totalitaire présente dans le programme de la Révolution nationale. (…) “ Nous savons bien aussi que, chez vous, les mouvements de jeunesse organisée sont soumis et loyaux à l’autorité légitime, mais que leur docilité ne se laisse point séduire aux artifices de la nazification subtile et bien dosée. (…) Non plus que ces ‘ associations ouvrières ’ depuis peu fondées parmi vous, et averties. Sans doute, elles se gardent de tout esprit communiste et ne préconisent nullement la révolution. Mais elles n’entendent pas non plus devenir des rouages d’État destinés à tromper la classe des travailleurs ; elles ne consentiront pas à composer avec des doctrines délicatement trempées de totalitarisme et s’attaquant sourdement aux bases mêmes de la civilisation chrétienne. Au contraire, elles veulent travailler efficacement à la reconstruction d’abord de la France, puis d’une Europe dans laquelle les nations, enfin désenchantées du totalitarisme de toute couleur, vivront, dans la paix et la liberté. ” »

Dès lors il n’est pas étonnant de voir L’Action Catholique, le journal de l’archevêché, adopter la position typiquement libérale du prétendu juste milieu entre le Maréchal et de Gaulle, donnant raison à l’un et à l’autre sous le même rapport, oubliant que le premier était le chef légitime et l’autre un rebelle : « Si anormal que cela puisse apparaître, Pétain et de Gaulle sont des serviteurs héroïques de leur patrie. Chacun à sa manière et selon ses vues (…) ils servent la France, et avec ce pays d’apostolat, tout l’univers. Par des sentiers différents, ils gravissent le même calvaire de la Rédemption des peuples assoiffés de légitime liberté. »

Pour contrer cette désorientation cléricale, il y aurait eu à Québec, le mensuel d’éducation nationaliste, La Droite, que dirigeait le père Simon Arsenault, religieux de Saint-Vincent de Paul. Mais sa livraison d’avril 1941, consacrée au chef de l’État français, lui avait attiré des foudres mortelles. De jeunes rédacteurs comme Doris Lussier y prenaient résolument parti contre de Gaulle et pour le Maréchal. « Non content de fuir sa patrie au moment suprême où dans un dernier râle elle lui demandait encore de rester pour panser ses blessures, un général félon, têtu et insoumis, a entrepris sur une terre étrangère, une campagne insidieuse pour discréditer de par le monde, et dans tous les milieux français de l’univers, le seul homme en France qui ait trouvé dans son vieux cœur de soldat assez d’amour et de courage pour pouvoir dire à la face des déserteurs : “ quoi qu’il arrive je ne quitterai pas le sol de la nation. Je fais don de ma personne à la France pour en atténuer le malheur ”. » Lussier montrait également que les porte-parole du général, qu’ils soient religieux ou laïcs, en critiquant « l’œuvre admirable de la résurrection française, perdent leur temps à se prosterner en adoration devant leur trinité cabalistique : Liberté, Égalité, Fraternité. »

La Droite en exprimant ainsi l’opinion du pays réel va périr sous les coups de la censure. Le gouvernement fédéral interdit la revue, le père Arsenault évite de justesse l’internement mais sera vigoureusement désapprouvé par le cardinal Villeneuve.

Enfin, en avril 1942, le gouvernement fédéral affaiblit considérablement la cause du Maréchal au Québec, en expulsant le consul général Jean Ricard, dont la valise diplomatique aurait prétendument servi à importer de la littérature de propagande anti-britannique.

Ces vives réactions n’ont pas impressionné le ministre de France à Ottawa, M. Ristelhueber, qui ne se trompe pas sur les sentiments du pays réel canadien français. En mai 1942, il écrit au sujet des partisans du Maréchal : « Ceux-là ne sont ni les politiciens, ni les fonctionnaires, ni tous ceux qu’un intérêt de carrière ou d’argent lie à la Grande Bretagne. Ce sont les paysans, le bas-clergé, les indépendants et la jeunesse. » Aussi peut-il répondre en toute vérité aux virulentes critiques de la presse libérale : « Est-ce à dire que les Canadiens-français nous ont reniés ? Nullement. J’ai l’intime conviction que la masse paysanne qui forme la majorité de la population nous reste attachée en dépit des vicissitudes et de la propagande. Son bon sens la met en garde contre les journaux et la radio ; elle échappe aux pressions ; elle reste fidèle à une vieille tradition qui est double : attachement envers la France, méfiance vis-à-vis de l’Angleterre. À côté de cette masse, à la vérité assez amorphe et peu agissante, un autre élément manifeste toujours envers nous une affectueuse admiration. C’est la jeunesse intellectuelle. Pour elle la France reste l’unique guide qu’elle entend suivre aveuglément. Et c’est ainsi qu’au plus fort de la crise actuelle, je suis chargé de faire parvenir à monsieur le Maréchal l’adresse ci-jointe d’un groupe d’étudiants de Montréal. »

1943-1944
LE TRIOMPHE APPARENT ET TROMPEUR DES GAULLISTES

Quand les Alliés débarquent en Afrique du Nord, le 8 novembre 1942, le gouvernement canadien prend prétexte de la résistance symbolique des troupes de Vichy pour rompre les relations diplomatiques et travailler désormais à faciliter la montée en puissance du mouvement gaulliste. Si celui-ci va gagner en influence, il ne parviendra pas à éclipser l’attachement des Canadiens au Maréchal, Amyot est obligé de le reconnaître : « L’idéologie clérico-nationaliste, – qui était à la base de la sympathie d’une partie [il faudrait dire de la majeure partie…] de la population canadienne-française pour le régime de Pétain – restait toujours bien vivante sur les rives du Saint Laurent. De même, les griefs contre la Troisième République, ce repaire de communistes, de francs-maçons et de juifs, n’avaient pas tout bonnement disparu dès l’instant où les soldats américains foulèrent le sol africain. Par conséquent, le gaullisme, qui pour plusieurs symbolisait l’héritage de la Troisième République, en portait toujours les stigmates infamants.

« Devenus orphelins, certains partisans du Maréchal se rangeront derrière le général de Gaulle. D’autres, gardant toute leur sympathie pour Pétain, s’enfermeront dans le mutisme. D’autres enfin opteront, pour un temps du moins, pour un nouveau champion de cette France éternelle et catholique. » En effet, certains crurent un moment que ce champion serait le général Giraud. « Avec Giraud, on peut à la fois s’afficher partisan de la Révolution nationale tout en combattant efficacement le nazisme. »

Giraud sera vite évincé par de Gaulle qui s’imposera comme le seul chef de la France libre. C’est à ce titre qu’il est reçu en juillet 1944 à Québec. Les braves gens, désorientés par la propagande gaulliste de la presse libérale et de celle de l’archevêché, descendent dans la rue pour acclamer le chef militaire qu’on leur présente comme un grand catholique. Ils applaudissent en lui l’épée de la France combattante, tout en gardant intacte, au fond du cœur, leur admiration pour le maréchal, son héroïque bouclier. Ignorants des manœuvres politiques par lesquelles de Gaulle a éliminé Giraud, ils sont abusés par ce machiavel qui se présente à eux comme le seul capable d’éviter à la France d’après guerre un régime socialiste ou communiste, au moment même où il fait alliance avec les communistes pour s’emparer du pouvoir. Cette euphorie repose donc sur le mensonge, et même le représentant de de Gaulle au Québec ne se fait pas d’illusions sur sa portée réelle.

Amyot a l’honnêteté de reconnaître que « Le Québec de 1945 n’est pas encore celui de la Révolution tranquille. Nombreux sont ceux qui rêvent encore de bâtir un Canada français catholique et corporatiste. (…) La méfiance que cultive une partie des élites canadiennes-françaises envers la France républicaine et laïque demeure. »

La preuve ? En juillet 1944, le cardinal Villeneuve n’est pas à Québec pour accueillir de Gaulle. Officiellement, il est en visite pastorale, en réalité une centaine de ses curés lui ont fait savoir vigoureusement leur opposition de principe à une rencontre entre leur archevêque et le rebelle ! Cette réaction fait honneur au clergé canadien, et préfigure le scandale des Canadiens français aux récits des crimes de la Libération et des procès de l’épuration qui se déroulent en France dès l’automne 1944.

1945
LE PROCÈS DU MARÉCHAL

Le DevoirLe Devoir, le journal nationaliste fondé par Henri Bourassa en 1910 et qui domine depuis lors la vie politique canadienne, se distingue de tous les organes de presse à grand tirage. Indépendant des puissances d’argent, libre de toute sujétion cléricale tout en étant ouvertement catholique, il s’impose par la qualité de ses articles et est attentivement lu par l’élite religieuse et politique de la province. Son compte-rendu quotidien du procès du Maréchal va donc fortement impressionner l’opinion canadienne-française.

La rédaction du Devoir comprend l’importance de l’évènement suivi par un envoyé spécial. « Tant que d’une part les adversaires du Maréchal criaient à la trahison et que d’autre part les autres répondaient qu’il avait fait pour le mieux, les gens prévenus par la propagande pouvaient rester indécis » Tandis que de la confrontation des accusateurs avec l’accusé doit jaillir toute la vérité sur la défaite et les années d’occupation de la France. C’est ce souci de la vérité des faits, et non un parti pris idéologique, qui guide les rédacteurs du Devoir.

Pierre Laporte dans son éditorial du 23 juillet est tout d’abord sidéré par la partialité des juges et des jurés : « Ceux qui ont monté le grand spectacle du procès Pétain peuvent être fiers. Avec un avocat comme Me André Mornet (…) [“ qui ne se fait pas faute de déclarer à qui veut l’entendre qu’il a ‘ toujours trahi le gouvernement de Vichy ’ et ‘ qu’il a l’intention (c’est lui-même qui l’a déclaré) de réclamer la peine de mort contre le Maréchal pour haute trahison ’ ”], (…) et un jury maquisard [douze sont issus des comités gaullistes et communistes et douze sont des parlementaires républicains] le vainqueur de Verdun est entre bonnes mains. » « Des correspondants qui assistent au procès, soulignera Paul Sauriol le 31 juillet, et qu’on ne peut pas soupçonner de partialité en faveur de l’accusé ne craignent pas d’écrire que Pétain est condamné d’avance. M. Harkness, représentant du “ Star ” de Toronto, disait après le troisième jour du procès : Pétain est condamné quelle que soit la preuve de la défense et quelles que soient les manifestations en sa faveur. Il fondait cette opinion sur les remarques des jurés qu’il entendait tout près de lui, et qui ont été recrutés parmi des membres de la résistance. »

C’est pourtant sur cette toile de fond de parti pris haineux que la vérité et la justice de la conduite du Maréchal vont s’imposer aux yeux de tous. En effet, au long des audiences, les chefs d’accusation tombent les uns après les autres, faute de preuve… et pour cause.

Ainsi de l’accusation de complot contre la République avant, pendant ou après juin 1940. Dans son éditorial du 2 août, Paul Sauriol s’amuse à constater que la thèse résistantialiste, c’est-à-dire communiste et gaulliste, d’un Maréchal traître, d’un gouvernement de Vichy illégal a été rejetée par les républicains eux-mêmes :

« En somme les témoins de la poursuite, les hommes politiques qui ont remis leurs pouvoirs à Pétain en 1940 et qui l’accusent aujourd’hui, ont eux-mêmes dans leurs témoignages contre l’accusé fait la preuve qui force la poursuite à renoncer à une bonne partie de l’accusation. Ils ont démoli la thèse gaulliste qui dénonçait l’armistice en disant qu’il aurait fallu continuer le combat […] les griefs des vieux politiciens radicaux sont si éloignés de ceux de la Résistance, que les adversaires du maréchal préfèrent laisser tomber un chef d’accusation sur lequel ils ne s’entendent pas. […] C’est la même chose qui s’est produite quant à la légalité du gouvernement de Vichy. Les gaullistes prétendaient ce régime illégal, affirmaient qu’on avait tout violé, que la transmission du pouvoir était entachée d’irrégularité. Là encore les témoins de la poursuite ont dû pour se défendre eux-mêmes rétablir les faits. C’est un ministre du gouvernement de Gaulle, M. Jeanneney, président du Sénat en 1940, et président de l’Assemblée nationale, qui a voté les pleins pouvoirs à Pétain, qui a affirmé que cette procédure a été tout à fait régulière. Il a dit que le parlement a alors abdiqué, jusqu’au point de refuser toute contre-proposition. La loi votée ne réservait absolument rien ; Pétain obtenait tous les pouvoirs constitutionnels, législatifs et même judiciaires. […] " Si j’avais considéré Pétain comme un criminel je n’aurais pas parlé comme je l’ai fait au Sénat en 1940 ". Après cela on comprend que la poursuite renonce à l’accusation de conspiration contre la République. Cela mettrait vraiment trop de monde dans le combat. […] » Le juge Mornet eut le mot de la situation en déclarant : « Il est temps que le procès Pétain commence ! »

Le dernier chef d’accusation, la collaboration avec l’Allemagne, retient d’autant plus l’attention du Devoir que ce point surtout avait troublé ses lecteurs, ils avaient hâte maintenant de connaître la vérité. Avaient-ils eu raison d’accorder au Maréchal une indéfectible fidélité ? Le Maréchal avait-il joué un double jeu comme on pouvait le supposer de son amour de la patrie ? Son action durant la guerre n’avait-elle pas favorisé la cause alliée ?

Dès sa parution, fin mai 45, le Devoir avait fait connaître l’ouvrage du professeur Rougier, “ Les accords Pétain-Churchill ”. L’auteur y rendait compte de la mission secrète que le Maréchal lui avait confiée auprès des Anglais, en octobre 1940. Du 8 au 11 août 1945, on trouve aussi dans les colonnes du Devoir, de nombreux témoignages irrécusables sur la collaboration de Vichy avec la Grande-Bretagne, et la résistance à l’Allemagne organisée en France sur l’ordre du Maréchal.

Mais c’est surtout l’éditorial de Paul Sauriol du 8 août qui fait éclater la vérité en relatant longuement la déposition de Jacques Chevalier, ancien ministre de l’Éducation à Vichy. C’est par cet ami intime de Lord Halifax que furent engagés en novembre 40 des pourparlers Pétain-Churchill. Chevalier démontra avec une rigueur qui laissa ses accusateurs sans voix, que Pétain et Churchill étaient en relation directe par l’intermédiaire de Pierre Dupuys, un diplomate canadien. « M. Dupuys est parti pour Londres le 9 décembre 1940. M. Chevalier a reçu de lui un télégramme disant simplement : “ Tout va bien ” C’était la formule convenue pour dire que le gouvernement britannique avait accepté l’accord tacite. »

Jacques Chevalier affirmait que l’Angleterre, par l’intermédiaire de Lord Halifax « demandait à la France de garder sa flotte, de garder ses colonies et de ne pas tenter de reprendre les colonies passées aux Alliés. En retour l’Angleterre atténuerait le blocus et permettrait à la France de recevoir de son empire des produits de première nécessité. Londres avertissait Vichy que tout devait procéder fort secrètement... Les anglais voulaient qu’il continue de subsister un apparent malentendu entre Vichy et Londres (...) L’accord est demeuré secret, a dit M. Chevalier mais il est entré en vigueur immédiatement. » Paul Sauriol exprimait la pensée de tout observateur impartial quand il concluait le 13 août : « Après les témoignages des dernières semaines il est bien évident qu’il y a eu accord entre Vichy et Londres ; que ce soit M. Rougier ou M. Jacques Chevalier qui l’ait conclu, que les démarches de M. Rougier aient seulement préparé ou réalisé cette entente, peu importe puisque le tout s’est passé en quelques semaines, et qu’en décembre 40 ces accords commençaient de donner les résultats visés et ont été observés de part et d’autre. »

Le 9 et 10 août 1945, toute la vérité éclate sur l’attitude du Maréchal en novembre 1942 après le débarquement des Alliés en Afrique du Nord. Le général Juin, chef d’État-major de l’armée française, a lui-même affirmé dans une lettre « qu’un accord - gentlemen’s agreement - a été signé entre les Américains et l’amiral Darlan et que cette entente comportait la promesse que les troupes françaises ne résisteraient pas au débarquement des Alliés en Afrique du Nord. Le général Juin a aussi confirmé un témoignage antérieur comme quoi dans deux télégrammes secrets envoyés à Darlan, le Maréchal approuvait la cessation des hostilités par les troupes françaises en Afrique du Nord. »

Le Devoir ne manque pas non plus de souligner que tout au long de ce procès, et principalement à la suite du témoignage de Laval, l’attitude perverse de la Grande Bretagne éclate aux yeux du monde. Surtout, lorsque, à la fin du procès, elle dément l’existence des accords secrets Pétain-Churchill, pourtant parfaitement établis. Le 13 août le Canada dément à son tour la participation de son diplomate à ces accords secrets, devenant ainsi complice d’un mensonge… criminel, puisque le Maréchal est condamné à mort à une voix de majorité, le 15 août 1945.

L’Angleterre s’est donc objectivement fait l’alliée de ceux qui ont voulu la mort du Maréchal, mais qui sont-ils ? Sauriol les désigne pour conclure, en citant un journal anglais, le Review of World Affairs : « Pétain, dit le périodique anglais, (…) n’a jamais été pro-allemand, mais il était opposé à la Troisième République, et c’est pourquoi on lui a fait un procès. Le journaliste anglais dit que par son attitude Pétain a coalisé contre lui des forces extrêmement puissantes qui se ramifient non seulement dans les partis politiques mais dans les milieux financiers et économiques du pays. Pétain compromettait le prestige des uns et les intérêts des autres. »

C’est et ce sera pour toujours l’honneur des journalistes du Devoir de s’être portés, seuls pour ainsi dire, à la défense d’un Maréchal de France ouvertement catholique, innocent de tous les crimes dont on l’accusait, mais condamné à mort par haine du nom chrétien, de la Nation chrétienne qu’il avait sauvée et voulu restaurer.

MORT ET RÉSURRECTION

Après avoir pardonné à ses ennemis et après six ans d’une rigoureuse réclusion, Philippe Pétain rendit son âme à Dieu, à Jésus-Christ qui est vrai Roi de France, le 23 juillet 1951. S’il jouit certainement de la béatitude de ceux qui ont été persécutés pour la justice, le tribunal de l’histoire ne lui a pas encore rendu justice, mais cette heure est proche.

N’oublions pas en effet que la mort de ce juste souffrant qui avait fait « le don de sa personne à la France pour en atténuer le malheur », s’inscrit dans le contexte mondial d’une “ mort ” et d’une “ résurrection ” de l’Église, tel que nous l’a révélé Notre-Dame de Fatima en 1917 dans un message sans équivoque possible. Avec la renaissance de l’Église catholique, peut-être plus proche que nous ne le pensons, est donc programmée aussi la réhabilitation de ses plus fidèles serviteurs, au premier rang desquels se trouvera celui qui fut au 20e siècle une incomparable figure du Sauveur Jésus : Philippe Pétain, maréchal de France, sauveur de sa patrie et martyr de ses concitoyens. Il sera bien juste alors que les Canadiens-français, après avoir pris sa défense aux heures sombres, soient à l’honneur lors de sa complète réhabilitation.

RC n° 129, juin-juillet 2005, p. 1-6

  • Le Canada-français et le Maréchal Pétain, La Renaissance catholique n° 129, juin-juillet 2005, p. 1-6