MÈRE MARIE DU SAINT-ESPRIT
fondatrice des Sœurs Missionnaires de l'Immaculée-Conception
« UN soir que j’étais avec des postulantes dans une petite pièce, accomplissant une action tout ordinaire, il m’a semblé que Notre-Seigneur me disait que je devais plus tard fonder une Congrégation de femmes pour les missions étrangères, et travailler à la fondation d’un Séminaire semblable à celui de Paris. » Celle qui raconte ainsi si sobrement l’Événement de sa vie est Délia Tétreault. À l’époque des faits, en 1883, elle est postulante chez les Sœurs grises à Saint-Hyacinthe. Elle n’y resta que deux mois et demi ; une mauvaise santé et un esprit trop différent de celui de la communauté décidèrent de son renvoi dans sa famille, en fait chez ses parents adoptifs. Orpheline de mère à 2 ans et demi, son père n’avait pu la garder, il la confia à sa tante Julie et à l’oncle Alix. La petite devint le rayon de soleil de ce couple sans enfant qui la choya.
UNE ENFANT PRÉDESTINÉE
Comme son curé et son vicaire s’en aperçurent bien vite, c’était une âme privilégiée. Un jour, elle rêva « d’un champ de beaux blés mûrs qui s’étendait à perte de vue. À un moment donné tous ces blés se changèrent en têtes d’enfants, je compris en même temps qu’elles représentaient des âmes d’enfants païens. Je fus frappée de ce rêve, mais je n’eus pas l’idée de le raconter à personne. » Dans ses souvenirs, elle dira cependant : « Ces premières années qui auraient dû être les plus heureuses de ma vie ne le furent guère, tiraillée comme je l’étais : le monde me tirait d’un côté, la grâce me sollicitait de l’autre. Notre-Seigneur me reprochait amèrement les plaisirs que je cherchais à prendre dans le monde, et mon manque de correspondance à sa grâce ne me permettait pas de jouir de ses consolations. À ces reproches cuisants de ma conscience venaient s’ajouter les scrupules qui me rendaient le saint tribunal de la Pénitence un vrai supplice. » Heureusement sa tante lui fut une éducatrice de premier ordre, « Je l’entends encore me dire et avec quel accent : “Ma fille, si tu ne te corriges pas de ton orgueil, ça te perdra ; mais si tu le vaincs, tout sera gagné”. »
Avec l’adolescence, elle devient de plus en plus pieuse, à 14 ans elle fait vœu de chasteté perpétuelle ; mais ce n’est pas sans combat qu’elle se résoudra à entrer dans la vie religieuse : « La pensée de la vie religieuse m’effrayait ; je me figurais qu’on devait y manquer d’affection. » Son départ de Saint-Hyacinthe, venant après un premier essai au Carmel, l’aurait laissée désemparée s’il n’avait été suivi d’autres grâces qui s’échelonnent tout au long de 1884, en particulier il lui est donné de voir en esprit une grande maison, comme un monastère, et plus tard d’éprouver l’entrée du Saint-Esprit dans son âme.
FILLE SPIRITUELLE DU PÈRE PICHON
C’est à la même époque que le Père Pichon s.j. arrive au Canada. Célèbre aujourd’hui pour avoir été le directeur spirituel de la famille Martin à Lisieux, il était, à la fin du siècle dernier, un prédicateur très recherché ; il prêchera 1015 retraites durant ses 21 ans au Canada ! Ce ministère l’amena à désirer la fondation d’un institut religieux pour aider les familles les plus pauvres. Lorsqu’il rencontre Mademoiselle Tétreault en 1889, il comprend aussitôt qu’elle pourrait en être la fondatrice avec une autre de ses dirigées, Madame Poitou, qu’il fait venir de France. En 1891, il fonde donc l’œuvre de Béthanie, mais de peine et de misère. Délia Tétreault y souffrira beaucoup à cause de sa santé fragile, et surtout parce qu’elle est de plus en plus convaincue que ce n’est pas sa vocation, malgré ce qu’en dit son père spirituel.
Elle reste cependant dix ans à Béthanie. Plus tard, elle dira que ce fut son noviciat ; de fait, elle y apprend les difficultés de la vie de communauté et y acquiert une expérience de maîtresse de maternelle pour enfants immigrés et pauvres qui s’avérera bien utile dans l’avenir.
C’est un autre jésuite, le P. Daignault, missionnaire de passage au Canada avec lequel elle restera en correspondance, qui l’éloigne peu à peu du Père Pichon. Mais l’influence déterminante pour son âme est celle de l’abbé Gustave Bourassa, le frère d’Henri, le célèbre tribun. Ce jeune prêtre remarquable et promis à un brillant avenir, comprend son âme avant même qu’elle lui ait tout raconté. Après son départ de Béthanie, il devient son directeur en lui disant cependant : « Je vais commencer à vous aider, mais je ne verrai pas l’œuvre », parole prophétique comme nous le verrons. Mais en attendant, une amitié spirituelle dont témoigne une abondante correspondance va lier ces deux âmes.
L’ÉCOLE APOSTOLIQUE
Le Père Daignault a suggéré de fonder une École apostolique, comme il en existe une en Irlande ; il s’agit de recevoir des jeunes filles qui étudient leur vocation missionnaire et de leur donner une formation utile, en attendant qu’elles choisissent leur congrégation. L’archevêque de Montréal, rapidement conquis par Mlle Tétreault, approuve le projet. Mais elle tombe gravement malade de tuberculose et ses jours sont en danger. Elle se rétablit après avoir fait un acte d’offrande à la Sainte Trinité, et la fondation peut se faire, le 6 juin 1901, en la fête du Sacré-Cœur.
L’école recrutant peu, on confie à Mlle Tétreault et à ses assistantes, des classes primaires pour les élèves du quartier de Côte-Sainte-Catherine où elle a élu domicile. L’abbé Bourassa ne se fait pas d’illusion : l’œuvre vivote. En 1904, il considère que c’est un échec. Cependant, il reste persuadé de l’authenticité des grâces reçues par sa dirigée dont il remarque l’ascendant indéniable sur ses compagnes ; il l’encourage donc à fonder un ordre missionnaire, le premier au Canada. N’oublions pas en effet qu’à cette époque, les 500 missionnaires canadiens et les quelques 5500 religieuses qui les aident, œuvrent uniquement sur le continent nord-américain.
LA FONDATION DES SŒURS MISSIONNAIRES DE L’IMMACULÉE- CONCEPTION
L’archevêque de Montréal, malgré son admiration pour Mlle Tétreault, hésite et reporte sa décision à son retour de sa visite ad limina. Sur ces entrefaites, l’abbé Bourassa qui venait d’offrir sa vie pour l’œuvre qui lui tient tant à cœur, fait une mauvaise chute et décède quelques jours plus tard. Mgr Bruchési l’apprend en arrivant à Rome, et il décide d’exposer la difficulté au Pape Pie X : « “ Très Saint-Père, le prêtre qui s’intéressait à cette œuvre vient de mourir ; cette fondation me laisse absolument indifférent. (...) Si vous me dites de dissoudre ce qu’il y a de commencé, ce sera tôt fait ; si vous me dites de continuer, je le ferai. ” Pie X, continue Monseigneur, me jetant un regard doux et pénétrant me répondit : “Fondez, Monseigneur, et la bénédiction de Dieu descendra sur cette nouvelle fondation”. » Lors de l’audience du 7 décembre 1904, Mgr Bruchési demande : « Saint-Père, quel nom faudra-t-il donner à la nouvelle fondation ? “Vous les appellerez les Sœurs Missionnaires de l’Immaculée-Conception, je le veux... si, si, je le veux” répéta Sa Sainteté, en appuyant ses paroles d’un geste de la main droite. »
Ce nom ne pouvait être mieux choisi, celle qui allait bientôt devenir Mère Marie du Saint-Esprit, était en effet imprégnée des écrits de saint Louis-Marie Grignion de Montfort. Aussi la fête de l’Immaculée Conception est-elle toujours solennellement célébrée à l’École apostolique ; on n’y manque pas cette année-là, sans se douter de la décision que saint Pie X venait de prendre.
Mgr Bruchési mène rondement les choses : le 5 août 1905, il donne l’habit aux 5 fondatrices et admet 5 postulantes. L’année suivante, 13 jeunes filles se présentent, le mouvement est donné... 500 professions perpétuelles en vingt ans.
LA MISSION DE CANTON
Comment évoquer en si peu de place les activités que Mère Marie du Saint-Esprit va développer dans la trentaine d’années actives qui lui restent à vivre ? Dès 1908, Mgr Bruchési accorde une fondation à l’évêque de Canton en Chine. Six religieuses quittent Montréal au soir du 8 septembre après une fête grandiose voulue et organisée par l’archevêque. C’est la première fois que des sœurs missionnaires quittent le Canada pour ne plus jamais revenir. La foule est rassemblée compacte à la cathédrale et sur le trajet jusque la gare, l’émotion est grande. Mais la fondatrice confiera : « Ce triomphe qu’on a fait aux partantes, comme il m’a fait mal au cœur ! Il m’a fait l’impression de celui du dimanche des Rameaux. (...) Comme j’aurais dû m’opposer à toutes ces démonstrations et à toutes ces félicitations. (...) Mais à l’avenir tous ces départs se feront humblement, dans l’ombre autant que possible. Ainsi nos sœurs se convaincront mieux qu’elles ne sont que de pauvres missionnaires qui vont évangéliser les pauvres, les misérables, les déshérités de ce monde, et étant plus humbles, elles auront plus de défiance d’elles-mêmes et seront par là plus aptes aux œuvres du Bon Dieu. »
Cette première mission chinoise sera la croix de la mère-fondatrice pendant près de vingt ans. Les sœurs s’installent au moment de la révolution qui met fin à la dynastie mandchoue, des difficultés sans nombre s’élèvent entre le préfet apostolique et la supérieure locale qui, par ailleurs, multiplie les œuvres : hôpital, école, crèche, léproserie. Les sœurs se plaignent. À distance, Mère Marie du Saint-Esprit apaise, réconforte, conseille, veille au respect de l’esprit de sa communauté. Ses lettres sont admirables ; son plus moderne biographe, lui, les juge “ d'un autre âge ”. Admettons... puisque ce sera un modèle pour la renaissance catholique !
LA MISSION SE FONDE SUR LA CROIX
Il ne faut pas dissimuler que ces premières difficultés rejaillissent sur son prestige. Toute sa vie, elle verra les autorités ecclésiastiques partagées à son sujet. Pour certains, c’est une sainte. Pour beaucoup, “ les sœurs sont remarquables, mais quel dommage qu’elles aient une telle supérieure générale ”, ce qui en dit long.
Les départs de la Communauté d’une missionnaire de Canton et d’une ex-assistante générale, toutes deux futures fondatrices de congrégations missionnaires, l’une à Sherbrooke et l’autre à Gaspé, alimentent les oppositions. À cette époque où Rome faisait son travail, une enquête canonique a lieu. En mars 1925, Mère Marie du Saint-Esprit est lavée de tout reproche, et Pie XI la nomme supérieure générale à vie ! Les adversaires n’en sont pas désarmés pour autant ; dix ans plus tard, les griefs refont surface provoquant une nouvelle enquête de Rome qui se conclut en 1939, quelques mois avant sa mort, très favorablement pour la fondatrice.
Toutes ces adversités ont été pour Mère Marie du Saint-Esprit, d’un grand profit spirituel. Elle considère que la mission n’est féconde que si elle est fondée sur la Croix et confiée à la médiation de la Vierge Immaculée. Ses lettres retrouvent les accents des Apôtres pour mettre en garde ses communautés contre la désobéissance et l’esprit de division. Lisons l’une de ses dernières recommandations : « Dans l’histoire des Communautés (...) ce sont toujours les mêmes causes qui produisent les désastres : le manque d’union, le manque d’entente et les indiscrétions. (...) Il suffit d’un membre à l’esprit faux pour mettre le malaise dans une famille religieuse. La plus petite trouée faite à la charité fraternelle, à la concorde, peut amener la ruine d’une communauté. Aimons-nous, restons unies, tenons nos rangs serrés. Je reviens souvent sur ce sujet, mais tout est là ! » Au contraire, elle salue toute épreuve avec reconnaissance comme une marque de la bénédiction divine. On dit que sa spiritualité est d’action de grâces, c’est vrai ; à condition toutefois de ne pas oublier que cette attitude reflète la joie de l’âme missionnaire qui, ayant reçu gratuitement des mains de Marie, donne gratuitement, mais toujours unie à Jésus crucifié, avec la Vierge Marie au pied de la Croix.
L’œuvre de Mère Marie du Saint-Esprit se déroule sur trois plans. Celui des missions extérieures retient ordinairement l’attention. Après Canton en 1908, les Sœurs missionnaires de l’Immaculée-Conception sont appelées à Manille en 1921 pour s’occuper de l’importante colonie chinoise. En 1924, une maison à Rome pour immigrés pauvres leur est confiée. En 1926, elles s’implantent au Japon dans le sillage des Pères franciscains et l’année suivante, elles sont les premières religieuses en Mandchourie, deux ans après l’arrivée des Prêtres des Missions étrangères de Paris. À partir de 1929, les fondations se multiplient en Chine et témoignent de la vitalité de la congrégation.
Quelques fragments de films d'archives malheureusement trop courts sont évocateurs de leur héroïsme quotidien, surtout dans les crèches surpeuplées de Chine ; c’était la véritable Église des pauvres dont rien n’arrêtait la charité ! Il faudra les persécutions de Mao pour les chasser de leurs missions après des procès publics où elles seront accusées des crimes les plus odieux.
LE SÉMINAIRE DES PRÊTRES DES MISSIONS ÉTRANGÈRES
Le second champ d’activités de Mère Marie du Saint-Esprit n’est pas le moins étonnant : Elle est la fondatrice du Séminaire des Prêtres des Missions étrangères de Montréal. À la fin du siècle dernier, des Dominicains missionnaires en Chine s’étaient déjà étonnés que le Canada français catholique aidât si peu les missions ; ils avaient alors suggéré à des amis sulpiciens d’établir un séminaire des missions étrangères calqué sur celui, prestigieux, de Paris. L’affaire n’avait guère dépassé le stade de l’ébauche, comme le projet suscité par une démarche de Rome, dix ans auparavant...
Personne ne savait qu’à la même époque le Ciel confiait cette mission à celle qui n’était encore que Mlle Délia Tétreault, jeune postulante des Sœurs grises à la veille d’être renvoyée de la communauté : « Il m’a semblé que Notre-Seigneur me disait que je devais plus tard fonder une Congrégation de femmes pour les missions étrangères, et travailler à la fondation d’un Séminaire semblable à celui de Paris. »
Dès 1902, c’est-à-dire à peine l’École apostolique fondée grâce à la bienveillance de Mgr Bruchési, elle s’emploie à faire avancer les choses. Mais le Concile de Québec en 1904 renonce à la fondation, devant l’opposition sourde des congrégations religieuses du Canada qui craignent pour leur recrutement.
Mère Marie du Saint-Esprit reprend ses démarches en 1912. En 1917, Mgr Charlebois, le saint évêque oblat, l’encourage à visiter tous les évêques de la Province, ce qu’elle fera sans beaucoup de succès, il faut l’avouer ; n’oublions pas que nous sommes au plus fort de la crise qui secoue sa congrégation.
Elle décide alors de concentrer ses efforts sur Mgr Bruchési qui, à bout d’arguments, lui répond : « Si vous voulez un séminaire canadien, trouvez-moi des prêtres. » La Providence s’en charge quelques jours plus tard, un jeune prêtre, M. l’abbé Lapierre, revenant de sa messe matinale, a un malaise devant le couvent des Sœurs et demande à s’y reposer. C’est ainsi que Mère Marie du Saint-Esprit le rencontre au parloir et apprend sa tristesse de ne pouvoir être missionnaire... L’entretien se poursuit donc dans le bureau de l’archevêque. Le 2 février 1921, le Séminaire est fondé.
UN RÉSEAU MISSIONNAIRE AU CANADA
Mère Marie du Saint-Esprit comprend aussi très rapidement qu’elle se doit de développer son œuvre en répandant l’esprit missionnaire au Canada. Certes, elle pense ainsi multiplier les vocations et obtenir le soutien matériel nécessaire à ses missions lointaines. Mais ce serait une erreur de penser que ce troisième champ d’activités, qui d’ailleurs l’accapare plus que tout, ne répond qu’à des préoccupations matérielles puisque son ampleur dépasse les stricts besoins de sa congrégation. C’est l’objet principal du conflit, déjà évoqué, avec son assistante générale qui lui reproche de disperser les activités de la Communauté. Mère Marie du Saint-Esprit considère, au contraire, qu’elle obéit à une volonté divine à laquelle elle ne saurait manquer sans être infidèle à son charisme de fondatrice : il lui revient aussi la mission de faire du Canada un pays missionnaire.
Sans peut-être le savoir, Mère Marie du Saint-Esprit renoue avec la tradition ultramontaine d’un Mgr Bourget qui s’appliquait à intéresser les fidèles aux combats de l’Église universelle. Car c’est le ralliement au libéralisme par ordre de Léon XIII, qui provoqua une évolution de la mentalité de l’Église canadienne vers le conservatisme et le repli sur soi.
Pour arriver à ses fins, Mère Marie du Saint-Esprit accepte, d’abord à Montréal puis dans les principaux diocèses de la Province et du reste du Canada, d’ouvrir des œuvres destinées aux immigrés pauvres : dispensaires, écoles primaires, écoles pour adultes, hôpitaux. Comme à cette époque on s’occupe non seulement de l’intégration des pauvres gens dans la société, mais aussi dans l’Église... beaucoup d’immigrés, conquis d’abord par la charité des sœurs, demandent le baptême ! Les voici donc aussi en charge du catéchuménat pour adultes. Dans les différents diocèses du pays, les couvents des Sœurs missionnaires de l’Immaculée-Conception sont ainsi des centres de rayonnement missionnaire. Des ventes, des expositions, des foires même, s’organisent pour faire connaître et soutenir les œuvres lointaines. Un journal missionnaire, Le Précurseur, est bientôt publié par Mère Marie du Saint-Esprit; les sœurs vont de porte en porte recueillir des abonnements.
L’infatigable fondatrice reprend aussi en mains l’œuvre de la Propagation de la Foi fondée en France presqu’un siècle plus tôt par Pauline Jaricot ; implantée au Canada en 1836, elle périclitait depuis sans jamais s’éteindre tout à fait. Mais la plus populaire de ses activités est sans aucun doute l’œuvre de la Sainte-Enfance pour subvenir aux besoins des missions chinoises en intéressant tous les écoliers catholiques au triste sort des petits Chinois. Tout le monde s’en souvient encore aujourd’hui avec émotion ou malheureusement dérision, comme l’archétype des œuvres d’avant le Concile. L’ensemble de ces inlassables activités ont fait pénétré la Mission dans la vie quotidienne des Canadiens-français, entre les deux guerres. Les autres congrégations missionnaires ont profité de l’élan ainsi donné.
UNE ŒUVRE ACHEVÉE
Rome approuve définitivement les constitutions de la congrégation en mars 1933. Un même cœur, une même manière d’agir et de penser unissent alors les sœurs quel que soit le lieu de leur apostolat. De jeunes prêtres se forment à la vie missionnaire dans un bâtiment voisin du noviciat des sœurs et partout au Canada des laïcs se dévouent avec une remarquable générosité pour aider les missionnaires. L’œuvre de Mère Marie du Saint-Esprit est donc accomplie ; en septembre de la même année, elle est victime d’une première attaque cérébrale. Pendant huit ans, elle continuera à vivre au milieu de sa communauté, entourée de l’affection de toutes et donnant un magnifique exemple d’abandon surnaturel lorsque la maladie l’oblige peu à peu à passer à d’autres le fardeau. La fidélité des supérieures à son esprit lui est cependant une vraie consolation ; l’une de ses dernières paroles sera de dire “ Je suis bien contente ” lorsqu’elle apprendra le choix de la nouvelle supérieure générale par le Chapitre. Peut-être un jour aurons nous l’occasion d’évoquer davantage sa spiritualité mariale apparentée à celle de saint Maximilien Kolbe, son amour de la Croix, du Saint Abandon, de l’action de grâces, bref, l’esprit missionnaire de celle qui s’éteint doucement le 1er octobre 1941.
Après sa mort, l’ordre continue à se développer : de nouvelles missions sont ouvertes en Afrique puis en Amérique du Sud. Et comme d’autres congrégations francophones, elles sont appelées par les évêques de l’ancien empire colonial français à remplacer les religieuses françaises chassées par la décolonisation. Mais la décennie soixante est marquée, ici comme ailleurs, par un brusque effondrement.
VICTIME DE KARL RAHNER
La cause principale en est l’esprit conciliaire comme l’Abbé de Nantes l’a amplement démontré. Le Père Raguin le confirme bien malgré lui puisqu’il se trouve souvent dans l’obligation de répéter que Mère Marie du Saint-Esprit est “ prisonnière de la théologie de son temps ” ; c’est donc que ce qui la guidait a changé ! Pourtant, il a l’honnêteté de citer de ses mises en garde : l’avenir de la Communauté et de ses missions dépendra de la fidélité à son esprit de fondatrice, et il insiste sur sa quasi-obsession que tout se fasse dans les maisons missionnaires les plus reculées comme à la maison-mère.
Certes, les difficultés des missions étaient antérieures au Concile, mais celui-ci généralisa les mauvaises solutions déjà appliquées en bien des endroits et les justifia par ses erreurs dogmatiques, le fameux arsenic du Concile. Notre Père l’expliquait dès le 11 novembre 1965, dans sa Lettre à mes amis n° 216 : « Au fond, nos experts n’ont vu dans ce Schéma sur les Missions qu’un nouveau champ d’application des théories proclamées ailleurs. Et d’abord la Mission ne doit plus être le fait de la hiérarchie ou d’instituts spécialisés, ni se limiter à certaines régions : c’est le Peuple de Dieu qui est missionnaire et tout chrétien dans son milieu de vie !... Langage flatteur, aux moindres frais. Et si tous le sont en principe, personne ne le sera plus en pratique. (...) Grâce au Concile, il suffit d’un trio de jésuites, Teilhard, Rahner, Arrupe, pour briser l’élan missionnaire, pour anéantir cette merveilleuse et sainte œuvre du salut des infidèles. »
Au contraire, l’esprit de la fondatrice des Sœurs missionnaires de l’Immaculée-Conception, correspond exactement aux principes dégagés par l’abbé de Nantes pour le renouveau missionnaire.
PAS DE MISSION SANS COLONISATION
L’histoire des missions de Mère Marie du Saint-Esprit confirme aussi une grande loi de l’action missionnaire catholique. Pour que celle-ci soit durablement bienfaisante, un ordre politique protecteur des faibles, organisateur de la vie sociale et économique est indispensable. Voyez comment l’œuvre des Sœurs en Chine a été fragilisée pendant trente ans par la révolution et finalement emportée par elle. Beaucoup de missionnaires n’ont pas compris cette exigence et se sont réjouis de la décolonisation : la Croix allait être dissociée des hommes politiques, des administrateurs et autres métropolitains pas toujours recommandables. Enfin, s’imaginaient-ils, ils présenteraient aux autochtones une religion pure de toute compromission et ils en attendaient un afflux de conversions... or c’était le glas des missions qui sonnait. La décolonisation était en fait voulue par le communisme et par la haute finance internationale pour mieux asservir les pauvres peuples que leurs missionnaires ont été impuissants à protéger. Ces magnifiques pays pacifiés ou en cours de pacification sont aujourd’hui le théâtre d’une misère inouïe : guerres, famines, corruption, sida et autres maux. Comme le rappelle l’abbé de Nantes, en vrai disciple du Père de Foucauld : « Le certain est que les Missions s’adossent à la Chrétienté et qu’elles grandissent à mesure de son progrès par Croisade et colonisation : elles-mêmes soutiennent l’expansion de la civilisation parce qu’elles sont vivifiées par la foi de toute l’Église. Tout le reste est rêve d’intellectuels qui ignorent les réalités poignantes du Second et du Tiers Monde. »
Ne doutons pas que Mère Marie du Saint-Esprit intercède pour que le Canada renoue avec sa vocation missionnaire et apprenne à la compléter par une œuvre colonisatrice.