MONSEIGNEUR GEORGES COURCHESNE
archevêque de Rimouski
I. UN MODÈLE D’ÉVÊQUE ENGAGÉ
A U jugement simpliste de nos historiens modernes, Mgr Georges Courchesne, évêque puis archevêque de Rimouski de 1928 à 1950, est la personnification du réactionnaire. Heureusement, la thèse de doctorat que l’abbé Noël Bélanger lui a consacrée en 1982, Mgr Courchesne et l’Action catholique, jette une singulière lumière sur ce prélat qui fut bien avant le Concile un homme de terrain, le plus engagé de son temps ! Il n’en est pas moins tombé dans l’oubli complet après 1964, pour des raisons qui nous font pressentir en lui un modèle pour la Renaissance Catholique.
UN CATHOLICISME INTÉGRAL
Né en 1880, à Saint-Thomas de Pierreville, comté de Yamaska, Georges Courchesne est d’une famille paysanne établie depuis plus d’un siècle sur cette terre fertile le long du chenal Tardif. Il n’a pas connu sa mère, morte peu de temps après sa naissance. De tempérament vif, extraverti, très intelligent, il passe son enfance entre un père taciturne qui ne s’est jamais bien remis de son veuvage, et une tante maternelle qui l’initie très vite à la lecture pour qu’il ne l’accable plus de ses innombrables et incessantes questions. Son biographe souligne ses traits psychologiques : une grande sensibilité, angoissée, et une affectivité prompte à s’exprimer mais capable aussi de sombrer dans la mélancolie la plus extrême, le menant à plusieurs reprises jusqu’à la dépression nerveuse.
À douze ans, il entre au Séminaire de Nicolet qui, soixante ans plus tôt, avait été le berceau de l’ultramontanisme au Canada. Il y fait de brillantes études secondaires, puis, de philosophie, et à vingt ans, il y entreprend sa théologie, tout cela sans difficulté. Il acquiert une culture générale nettement supérieure à la moyenne de son temps. Très tôt aussi, il fait preuve d’un talent exceptionnel de pédagogue. Après son ordination en 1904, il devient professeur dans son alma mater, avec l’idéal de former des apôtres et des patriotes. Car les discours d’Henri Bourassa n’ont pas tardé à l’enthousiasmer, d’autant plus qu’il s’intéressait vivement aux questions sociales et économiques. Remarquons donc que sa formation l’a protégé des conséquences de la politique de ralliement imposée par Léon XIII : pour le jeune abbé Courchesne, il n’y a pas de vie catholique authentique sans chrétienté.
Nous ne nous étonnons pas de le trouver parmi le cercle des fondateurs de l’Action catholique de la jeunesse canadienne, l’ACJC, dont le but essentiel à ses yeux est de former une élite capable de s’opposer à l’esprit anticlérical né en Europe, « ceux qui ont conscience des dangers que courent notre foi catholique et notre race canadienne française et qui se sentent le courage de se préparer à combattre pour le triomphe de l’une et de l’autre. » C’est à l’ACJC qu’il noue une véritable amitié avec l’abbé Groulx.
Pourtant, que de différences entre les deux prêtres : Groulx sera le doctrinaire de l’action nationale alors que Courchesne va se révéler le doctrinaire de la société à défendre ou à restaurer. En 1908, il étudie à Rome, où il obtient un doctorat en théologie dogmatique – c’est un thomiste convaincu – puis il visite la France. À l’Université catholique de Fribourg, il suit des cours de littérature, de philosophie, de psychologie et d’économie sociale. Il étudie alors en profondeur les “ sociologues catholiques ” : Albert de Mun, Charles de Ribbe, Léon Harmel, mais surtout La Tour du Pin et Frédéric Le Play.
Son abondante correspondance témoigne, bien plus que celle de Groulx, de son souci de la doctrine et de sa discipline intellectuelle et morale. On y trouve une analyse pénétrante de la société française livrée à l’anticléricalisme et à la démocratie. S’il est impressionné par l’activité des jeunes du Sillon, il fréquente surtout l’Association catholique de la jeunesse française. Il s’intéresse aussi à l’Action française de Maurras, mais avec un enthousiasme mitigé : il dira dans une conférence publique en 1924 : « Nous ne sommes pas des positivistes à la Maurras. »
Après trois ans d’absence, il reprend son enseignement à Nicolet et se dévoue sans mesure auprès de l’ACJC et des milieux nationalistes, multipliant conférences doctrinales et articles. Son incessante activité ne se ralentit qu’entre 1917 et 1919 lors d’une convalescence prolongée aux États-Unis, où il découvre avec bonheur le combat des Franco-américains qu’il éclaire de ses lumières doctrinales et qu’il défendra jusqu’à la fin, à l’encontre de Pie XI. L’abbé Bélanger n’a pas de peine à dégager les grandes lignes de sa doctrine.
Pour le futur évêque de Rimouski, le grand mal de notre temps est l’individualisme qui génère deux erreurs parallèles : le libéralisme, qui met l’accent sur la liberté des individus, et le socialisme, qui réclame l’égalité entre les individus. C’est le libre examen protestant qui a introduit dans nos sociétés ce poison, l’influence juive dans le capitalisme moderne l’a renforcé, les Droits de l’Homme le bétonnent en proclamant l’autonomie de l’individu. Il va de soi qu’aucun système politique, social ou économique fondé sur ces erreurs ne peut être satisfaisant et ne doit être encouragé.
En regard, l’abbé Courchesne explique que toute la société doit reposer sur le principe du bien commun puisque l’homme, incapable de se suffire à lui-même, ne peut vivre seul. Le fondement de la société est donc la famille ; la paroisse n’est que le milieu familial agrandi. Cependant, le bien commun ne résultant pas de la somme des biens particuliers, il faut un État pour imposer aux individus le sacrifice de leur bien particulier pour la satisfaction du bien de tous. Il distingue aussi l’État de la nation qu’il définit comme le regroupement de familles le plus large qui soit, unies dans une même expérience, tradition et héritage. C’est la mémoire des familles vivantes pour affronter l’avenir ; une éducation digne de ce nom doit être patriotique, nationaliste, sous peine de régression pour la génération future.
Tout cela relève d’un ordre certes naturel, mais qui ne peut être légitimement séparé de sa finalité surnaturelle : le salut éternel des âmes. « Félicitons-nous de vivre dans un pays et d’être d’une nation où trois siècles de traditions catholiques ont créé un état d’esprit qui redoute à bon droit comme une maladie mentale, les erreurs doctrinales sur l’origine et la fin de l’Homme. » Or, cette finalité surnaturelle est de la compétence de l’Église, indépendante de nature par rapport à l’État qu’elle domine. Mais comme un environnement favorable est nécessaire pour que la grâce produise du fruit en abondance, l’Église doit contrôler aussi la vie sociale afin que l’ordre surnaturel ne soit pas séparé de l’ordre naturel, afin que le Christ règne sur la société. Il faut une concertation entre l’Église et l’État, c’est la chrétienté.
Pour l’abbé Courchesne, le bien commun consiste donc dans une heureuse orientation des forces sociales organisées de telle manière qu’elles concourent au plein épanouissement de la vie vertueuse des individus, et non pas de l’Homme !
La politique ne doit donc pas être un domaine “ neutre ” ou laïque. « Il ne faut pas laisser la politique à la merci des clans et des faiseurs. Les partis politiques sont plus dangereux qu’utiles. Ils sont une fiction nécessaire au régime constitutionnel, mais enfin, pour nous, une pure fiction au regard du bien commun. Partout, les partis ramènent les vues étroites de l’individualisme, ils installent partout des préoccupations d’ordre électoral et entretiennent l’aigreur des luttes partisanes ». Puisque le régime des partis est incontournable au Canada, l’Église doit y être d’autant plus indépendante, forte, organisée dans ses institutions. Elle doit avoir une élite laïque vouée à la défense du bien commun, formée dans l’apprentissage des traditions familiales et catholiques, capable de contenir les interventions de l’État. « On sortirait l’État de ses attributions en le poussant à perdre de vue des mesures destinées à promouvoir le bien commun, pour lui imposer des tâches qui doivent relever de l’initiative familiale, de la coopération intelligente entre familles et de la charité organisée. »
Il faut en outre veiller au respect des droits sacrés des parents sur les enfants, et à celui des droits de la famille. Les initiatives de la liberté individuelle doivent être garanties dans la mesure où elles sont conciliables avec le devoir qu’a l’État de protéger les petits et les faibles contre les abus de cette liberté. C’est au nom de ce principe qu’il défendra le respect de la langue des minorités. Ce qui ne l’empêche pas d’affirmer : « On doit être bon pour tout le monde, mais il n’est ni sage ni prudent de faire société avec n’importe qui ».
Ses faveurs vont à la société rurale qui lui paraît la plus propice à la vie catholique – « la vertu populaire trouvait dans la vie rurale l’équivalent des sauvegardes du cloître, moins quelques-unes de ses austérités. » – mais comme la vie citadine est devenue une nécessité de la vie moderne, l’Église doit s’attacher à y maintenir l’ordre catholique qui repose sur la paroisse. Enfin, il fonde son nationalisme canadien-français sur « cette certitude que Dieu a fait pour notre peuple ce qu’il n'a pas fait pour tous. Nous devons ne rien négliger de la grâce qui est en notre peuple, si nous voulons le garder à Dieu et en faire le peuple parfait qui serve d’exemple à ceux qui l’entourent, opprimés par le culte de Mammon et celui de la chair. »
QUATRIÈME ÉVÊQUE DE RIMOUSKI
En 1928, il devient évêque de Rimouski. Il en est à la fois heureux – « c’est le diocèse le plus catholique qui soit, je n'hésite pas à le considérer comme l’une des parties les plus saines de notre province. » – et angoissé : c’est au bout du monde ; concrètement, il s’éloigne des cercles intellectuels nationalistes montréalais qu’il aimait fréquenter. Cette solitude à venir lui pèse quoiqu’il sache que le travail ne lui manquera pas. Le diocèse en bordure du Saint-Laurent est vaste, essentiellement rural mais très pauvre. Le taux élevé d’accroissement de la population entraîne un surplus de population moyen de 1 300 personnes par an qui doivent quitter la région ! En 1928, le diocèse compte 112 000 catholiques et un millier de protestants, 73 paroisses, 24 dessertes, 208 prêtres, 32 séminaristes, 6 instituts religieux masculins, 9 féminins qui regroupent 500 religieuses, un hôpital et deux orphelinats.
Gardons ces chiffres en mémoire, nous les comparerons avec ceux de 1950, après vingt ans de méthode Courchesne, pour reprendre l’expression du clergé rimouskois, dont les relations avec le nouvel évêque furent d’abord difficiles, parfois franchement hostiles, avant de se transformer en une admiration et une confiance sans faille. Il faut avouer que l’humour caustique de ce fin lettré, curieux de tout, infatigable causeur jusqu’aux heures les plus avancées de la nuit, sans aucun respect pour la politique (le parti libéral alors au pouvoir était bien implanté dans le clergé de Rimouski !), brassant continuellement de nouveaux projets, réveille brutalement un clergé autosatisfait de la pratique religieuse exemplaire de ses ouailles et comprenant mal les alarmes du jeune prélat.
C’est que sa première visite pastorale lui a révélé le délabrement économique et social du diocèse, qui condamne la population, au mieux à une stagnation débilitante, au pire à un exode rural accentué. À peine achève-t-il d’expliquer la gravité de la situation à ses curés, que la crise de 29 éclate, achevant de lui donner raison. Le constat s’impose, il est temps que l’Église cesse sa neutralité vis-à-vis d’un monde moderne qui prétend se développer loin des lois divines et de l’autorité de l’Église : « Je trouve formidable que nous, qui avons toute influence sur notre peuple, nous nous soyons mis à la remorque du peuple en cette aventure et n'ayons rien dirigé ». Sans tarder, dès février 1929, il présente au gouvernement un plan de colonisation de tout l’espace entre les vallées du Témiscouata et de la Matapédia. Fidèle à ses principes, il ne demande rien à l’État, sinon de veiller à limiter les prétentions des grandes compagnies forestières. Moyennant quoi, en 10 ans, il fonde 30 paroisses avec le meilleur taux de réussite de la province, 7 % seulement de défections, et le plus petit taux de subventions gouvernementales ! Son ami, Esdras Minville, met au point un plan de développement parallèle de l’agriculture et des ressources forestières, financé par la coopération.
En même temps, il effectue avec l’aide de ses curés une vaste enquête sociologique qui démontre que seule la moitié de la population de ce diocèse intégralement rural vit de l’agriculture ! Très vite, il donne donc à ses prêtres comme ligne de conduite de ruraliser nos villages. Cette expression curieuse de nos jours recouvre en fait une action écologique, au sens de nos 150 Points : il s’agit de développer harmonieusement les paroisses pour les rendre économiquement viables et stables afin d’y attacher la population dans un milieu propice au maintien et au développement de la piété et de la vertu. Citons les quatre points essentiels de son programme d’action :
« 1- faire évoluer la mentalité de la population, les faire étudier ensemble dans le village et entre villages voisins, les conditions du développement agricole de leur région, les garder dans la sympathie de ce milieu.
« 2- Il faut nous habituer à considérer comme de la vie rurale tous les métiers et professions dont l’ensemble avec l’agriculture, achève de donner à la paroisse quelque chose de maternel.
« 3- Développer la petite industrie et l’artisanat capable de retenir et d’occuper une jeunesse qui ne peut trouver de terre à cultiver dans la paroisse.
« 4- Modifier l’enseignement pour apprendre aux enfants la noblesse de fils de terrien. »
Quoiqu’ardent partisan des études classiques, il limite le nombre d’étudiants au séminaire de Rimouski ; la région n’a pas besoin d’une pléiade d’avocats ! Mais il ouvre une École technique, une École de marine, une École de commerce et une École d’agriculture, rattachées au séminaire et délivrant des diplômes secondaires et supérieurs ; c’est ce qu’il appelle notre Université rurale, inspirée de l’Université du Travail des Frères des écoles chrétiennes à Charleroi en Belgique, pour dispenser un enseignement correspondant aux besoins de la région. C’est un immense chantier qu’il finance par un emprunt auprès de ses diocésains qui y souscrivent avec empressement et générosité. Ils en seront récompensés... les fonds investis sur place ne subissent pas les contrecoups de la crise de 1929 et assurent du travail à de nombreux ouvriers.
L’ACTION CATHOLIQUE EN THÉORIE
Mais tout cela ne se fait pas sans résistance. Il lui faut vaincre l’opposition de ceux qui ne veulent pas risquer de déplaire au gouvernement en place, et surtout la mentalité qui s’est répandue à la suite du Ralliement imposé par Léon XIII, qui confine l’action de l’Église au culte et à la morale. C’est une mentalité de chrétienté que Mgr Courchesne veut rétablir dans son diocèse, et c’est pour cela qu’il travaille à y instaurer l’Action catholique. Quoique nous soyons en 1929-30, il ne s’agit pas encore de l’Action catholique spécialisée que Pie XI encourage, il s’agit de l’Action catholique telle que la recommandait saint Pie X, une mobilisation des meilleurs laïcs derrière leurs prêtres pour garder ou restaurer la société chrétienne.
« Le Royaume de Dieu est concerné trop directement en cette affaire, pour que nous ayons le droit de nous dire que cela ne nous regarde pas. Le temps est venu où il faut que ceux qui ont des charges sociales se dérangent et apportent tout leur cœur et leur intelligence à nous aider à trouver les moyens de sauver leur milieu de la crise de démission qui sévit chez notre jeunesse des deux sexes. Le curé ne peut se désintéresser des routes de ce monde qui conduisent à l’éternité bienheureuse. (...) On voit assez ce que pareille doctrine taille de besogne, non seulement aux prêtres mais à quiconque appartient au corps du Christ. Tel est le solide appui où se fonde l’appel de tous les temps à l’action catholique, considérée comme la participation même du laïc à l’apostolat hiérarchique de l’Église. (...) Le catholique d’action est à l’œuvre depuis le cercle de sa famille jusqu’à la périphérie de sa vie en société. Il sauvegarde chez lui l’ordre des intentions, désire pour lui et pour tous le don de Dieu, le bien divin, et au sein de sa patrie, il s'attache aux œuvres qui contribuent au bien du plus grand nombre, ou bien commun. C’est la justice sociale au service de la charité divine. »
Concevant l’action catholique comme un combat, Mgr Courchesne insiste beaucoup sur sa subordination à la hiérarchie et sur la formation de ses membres pour que chacun s’acquitte au mieux de son devoir d’état. L’enseignement dispensé devra être professionnel, technique, social, économique, mais toujours en même temps moral et religieux. Enfin, sous peine d’aboutir à un échec, l’action catholique devra être sanctifiée par la prière, et ses membres suivre «à l’exemple de ce qui est indiqué aux prêtres et aux religieux, les exercices spirituels d’une retraite fermée, car ils participent à l’apostolat de la hiérarchie et doivent recourir aux mêmes sources spirituelles. »
L’ACTION CATHOLIQUE EN PRATIQUE
Mgr Courchesne fait de l’Union catholique des cultivateurs, un syndicat agricole que les évêques viennent d’approuver, le principal organe de son action catholique. Il demande à ses curés d’en fonder un cercle dans chaque paroisse. La résistance est vive, car le gouvernement libéral patronne déjà des cercles agricoles largement subventionnés mais inopérants. Monseigneur tient tête au ministère jusqu’à ce qu’un nouveau ministre, Léonide Perron, se rende à l’évidence l’UCC et les curés réussissent là où les cercles agricoles échouent.
Il accepte que les cercles agricoles deviennent des cercles agricoles paroissiaux à la plus grande satisfaction de l’évêque qui exulte devant ses curés : « Si le mot paroissial a été ajouté c’est pour que, explicitement, il soit fait mention dans le nom de l’organisme unique de l’avenir, du caractère catholique qu’il doit avoir et parce que ce mot sauvegarde les droits de surveillance et d’influence de la hiérarchie qui est chez elle dans tout ce qui se réclame d’un titre paroissial. » Le ministre Perron cède aussi l’organisation et la direction de l’enseignement postscolaire et la gestion des coopératives.
Mgr Courchesne écrit à son ami l’abbé Groulx : « Voilà pourquoi je vais de l’avant et y lance mes curés, superbes types, je t’assure, et qui connaissent le tabac. Il y a un magnifique entrain dans le bas du Fleuve. Mes agronomes sont enchantés que nous prenions les devants. Ils respirent, Caron parti. Et ils nous supplient de marcher afin de constituer des précédents qui les libèrent à l’avance des lisières d’un autre ministre moins intelligent. Celui-ci veut notre concours parce que tous ses agronomes lui ont dit qu'il était inutile de parler d’organiser la classe agricole si les curés ne sont pas avec les techniciens pour les accréditer et pour rallier les cultivateurs. » En moins d’une année, il fonde 30 cercles et 12 coopératives ; en 1940, il y en aura 80, le tout regroupé dans une union diocésaine sous la présidence de l’évêque.
Ne voulant pas que les ouvriers saisonniers, ceux des chantiers ou des scieries, subissent l’influence des syndicats, il persuade l’UCC de fonder une section pour les travailleurs agricoles et forestiers afin de défendre leurs intérêts et leur promotion sociale sans les couper du milieu dont les trois quarts sont issus. C’est un vif succès.
Mgr Courchesne encourage aussi la Ligue catholique féminine et toutes les œuvres pieuses et caritatives telles que les Conférences de Saint-Vincent-de-Paul, la Ligue du Sacré-Cœur, la confrérie du Saint-Sacrement, celle de la doctrine chrétienne, les Dames de Sainte-Anne, les Dames de la Sainte-Famille, les Enfants de Marie et la croisade eucharistique. Il n’est pas un révolutionnaire qui bouleverse ce qu’il trouve sans considération des efforts passés ; mais il le perfectionne et il veut que tous ces mouvements travaillent sous une direction commune pour le même but.
C’est pourquoi il ordonne que chaque paroisse soit dotée d’un comité paroissial : « Quand l’apostolat des laïcs devient également l’affaire d’à peu près tout le monde, il y a lieu de craindre qu’il ne devienne plus l’affaire de personne. » Le comité paroissial regroupe autour du curé les dirigeants de tous les mouvements de la paroisse, non pas pour se substituer au prêtre – comme nos modernes comités de pastorale paroissiale, les c.p.p. – mais pour travailler en commun sous sa direction. Le C.P. devient l’organe essentiel de l’action catholique de Mgr Courchesne dans les années 30. Sa mission est de coordonner l’action des différents mouvements et de donner aux responsables une plus grande formation spirituelle et doctrinale. Chaque réunion se divise en un cercle d’études d’un problème doctrinal fixé par l’évêque et en une discussion sur une préoccupation d’ordre religieux, social ou patriotique propre à la paroisse.
LA CHRÉTIENTÉ RESTAURÉE?
On reste étonné de tout ce que ces comités mettront en place avec une grande diversité d’une paroisse à l’autre. L’abbé Bélanger développe l’exemple de la paroisse de Saint-Arsène qui organise une école du rang pour adultes. En 7 ans, 300 personnes de 15 à 40 ans y reçoivent des leçons de lecture, d’agronomie, de comptabilité, d’apologétique, de bienséance, d’hygiène, d’histoire du Canada, avec en plus un groupe théâtral. Monseigneur préside l’examen annuel et la remise des prix !
Ailleurs, c’est l’organisation de divertissements et de bibliothèques, c’est la fondation de caisses populaires, l’organisation de comités de colonisation pour soutenir des colons originaires de la paroisse, de comités d’aide à la vie familiale et aux familles nécessiteuses. Le but avoué est de chasser de ce domaine l’État, donc la politique et les partis. Monseigneur insiste aussi beaucoup sur la promotion de l’union sociale, il veut que les critiques négatives et la critique des personnes soient bannies des réunions, il faut retisser le tissu social sans cesse déchiré par les luttes partisanes. Enfin, on organise la promotion des journaux catholiques, les œuvres de tempérance, les comités d’aide aux victimes des catastrophes, etc...
Toutefois, Mgr Courchesne ne se berce pas d’illusions. Il s’inquiète de l’apathie des autres évêques. Il l’écrit à son métropolitain et ami, le cardinal Villeneuve, qu’il juge maintenant trop enclin à la conciliation passive avec le gouvernement ; en exergue de sa lettre, il recopie cette citation d’Étienne Gilson qui résume parfaitement sa pensée sur l’ordre catholique dans une démocratie incontournable : « J’entends par ordre catholique, entre la vie religieuse privée du catholique et les groupes politiques à l’œuvre desquels, en tant que citoyen, le catholique collabore, un ordre d’institutions créées par les catholiques, pour assurer la réalisation des fins catholiques dont l’État n'assume pas la responsabilité. Tant que vous n'aurez pas créé cet ordre, à la question que vous posez : que peuvent faire les catholiques pour leur pays ? il n'aura qu'une réponse : individuellement priez et rendez-vous meilleurs, socialement, rien, parce que vous n'existez pas. »
Mgr Courchesne juge ses confrères trop passifs surtout face au danger de laïcisation rampante de la société. Et l’opposition n’ira que grandissante, surtout après la nomination de Mgr Charbonneau comme archevêque de Montréal en 1940.
L’autre souci de l’évêque de Rimouski est le désintérêt des jeunes pour la cause catholique. Il a bien essayé de mettre en place dans son diocèse l’ACJC, mais c’est un échec. Or, si le flambeau ne passe pas à la génération suivante, le fruit du travail accompli durant ces premières années d’épiscopat est compromis. C’est pour remédier à cette situation qu’il convoque au début de mai 1936 un Congrès qui réunit son clergé et les responsables nationaux des mouvements d’Action catholique spécialisée dont ses collègues disent le plus grand bien et, surtout, que le Pape Pie XI présente comme la formule d’avenir pour l’Église.
II. MGR COURCHESNE, ÉVÊQUE DE CONTRE-RÉFORME ?
Nous avons laissé Mgr Georges Courchesne en 1936, après huit ans d’épiscopat à Rimouski, au moment où il convoque un congrès de l’Action catholique spécialisée dans sa ville épiscopale. Nous avons admiré avec quelle clairvoyance et efficacité il a su développer un réseau d’institutions catholiques pour le bien spirituel et temporel de son peuple. Cependant, il n’a pas réussi à y intégrer la jeunesse, et c’est ce relatif échec qui le détermine à se tourner vers les nouveaux mouvements d’Action catholique dite spécialisée qui se développent au Canada avec un succès foudroyant depuis le début des années trente. Les Oblats de Marie Immaculée, qui ont été les premiers à s’intéresser à ce type d’apostolat, ont la haute main sur la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, tandis que les Pères de Sainte-Croix dirigent la Jeunesse Étudiante Chrétienne, et les Clercs de Saint-Viateur animent la Jeunesse Agricole Chrétienne.
L’ACTION CATHOLIQUE SPÉCIALISÉE
Ces mouvements, chaudement recommandés par le Pape Pie XI qui leur assure un succès mondial à partir de 1926, ont des méthodes d’apostolat qui se veulent nouvelles. Elles tiennent en une formule simple : l’apostolat du milieu par le milieu. Ce qui signifie que c’est aux ouvriers de convertir les ouvriers, aux étudiants de convertir leurs condisciples, etc. Mais ce n’est qu’un aspect des choses, car la méthode exige aussi le changement du milieu de vie comme préalable à la conversion des individus. À dire vrai, on n’a tout de même pas attendu l’abbé Cardjin, le fondateur de la JOC, pour s’apercevoir que le milieu influence les conversions et la vie chrétienne… mais, à partir de ces années, on en fait la Théorie, hors de laquelle il n’y a pas de salut pour l’Église. Les chrétiens d’un milieu donné, avant tout effort d’apostolat, doivent donc se réunir avec discrétion afin d’étudier le milieu, d’envisager ce qu’il faut faire pour l’améliorer, puis d’entreprendre une action appropriée. Ce qui se résume dans la fameuse formule : Voir, juger, agir.
Les tenants de l’Action catholique spécialisée (AC) prétendent – avec l’appui de Pie XI – qu’il n’y a pas d’action catholique sans cette méthode. Cependant, remarquons dès l’abord que, si cette action catholique participe à l’apostolat de la Hiérarchie de l’Église de qui elle reçoit un mandat, sa méthode ne nécessite pasla présence du prêtre. On peut voir, juger, agir sans monsieur le curé ! Et d’ailleurs, seconde caractéristique de ces mouvements, ils agissent hors du cadre paroissial ; le cadre de leur action, c’est l’usine, le lycée, la ferme, le milieu.
Cependant, le succès de ces mouvements auxquels le Père Thomas Villeneuve, un Oblat de grande renommée, a donné un caractère de grande piété, est fulgurant, notamment à Montréal où, après moins de dix ans d’exercice, la JOC est capable de faire défiler 6 000 jocistes en uniforme !
ACTION CATHOLIQUE ET ACTION NATIONALE
Toutefois, il est non moins vrai que des ombres apparaissent vite. Les évêques de la Province, enchantés des premiers résultats, veulent que le développement de ces mouvements ne soit pas anarchique, et ils décident de les faire chapeauter par l’Action catholique de la jeunesse canadienne (ACJC) à laquelle ils les intègrent d’autorité. Seulement, c’était sans compter avec un état d’esprit par trop différent. La JOC, la JEC, la JAC et bientôt la JIC, s’estiment les seuls vrais mouvements d’action catholique parce que voués à l’apostolat ; ils méprisent leurs camarades de l’ACJC, qui ne se préoccupent que de défendre l’esprit catholique de la nation canadienne-française. C’est “ ringard ” !… Ne sait-on pas ici que le pape Pie XI met en garde contre le nationalisme, fauteur de guerres ? Est-il juste qu’au Canada, l’action catholique soit sous la tutelle de nationalistes tenus en suspicion à Rome ?
La crise s’amplifie rapidement. Beaucoup de jeunes gens désertent l’ACJC soit pour rejoindre les mouvements d’AC, soit pour passer aux organisations politiques laïques. En 1935, les évêques sont divisés. Mgr Courchesne, on le sait, prend parti pour l’ACJC et voudrait qu’on mette au pas les dirigeants de l’AC. Mais d’autres se rallient aux thèses du jeune Père Lévesque, le futur fondateur de la faculté de Sciences sociales de Laval, le “ grand-père ” de la Révolution tranquille, qui commet là son premier méfait. Il préconise en effet de distinguer les deux réalités, action catholique et action nationale, sans les opposer mais en les unissant dans une légitime subordination ; seulement, il donne la primauté à l’Action catholique. L’abbé Groulx, Mgr Courchesne et tous les nationalistes protestent : d’une part, si on interdit l’action nationale à l’action catholique, tout ecclésiastique, même évêque, doit logiquement se voir frappé de la même interdiction ; d’autre part, l’action catholique va prendre l’élite de notre jeunesse et que restera- t-il pour l’action nationale ?
On comprend que, dans ce contexte, Mgr Courchesne ait tardé à faire appel pour son diocèse aux nouveaux mouvements. Toutefois, comprenons qu’à cette époque, à cause même des incessantes recommandations du Pape Pie XI, Mgr Courchesne et les autres ne cherchent pas la cause des conflits qui opposent AC et ACJC ailleurs que dans un conflit de personnes entre les dirigeants. Voilà pourquoi, il se résout malgré tout à envisager leur implantation dans son diocèse où il se croit capable de contrôler les conflits de personnalité.
LA SURCHAUFFE DE 1936
Le congrès de mai 36 est une réussite inespérée. Monseigneur le conclut avec émotion en ces termes : « En vérité, je me demande si nous avons connu dans notre vie pareilles heures. Et il ne s’est pas agi d’une simple fête de l’éloquence : c’eut déjà été quelque chose de plus que cette joie humaine. Il y avait là nous enveloppant tous, la présence invisible de notre doux Christ que nous aimons bien malgré nos faiblesses, et à qui nous voulons garder les âmes de nos gens malgré leurs inconstances. »
Quelques semaines plus tard, il édicte dix-sept mesures pour implanter l’AC dans le diocèse. Des réunions sur la méthode sont organisées dans tous les doyennés pour tous les prêtres et les comités paroissiaux. « Il s’agit de faire de ces mouvements des organes essentiels de l’action catholique pour que, selon le vœu du Saint-Père, s’exerce l’apostolat du semblable par le semblable : que les curés réunissent séparément, là où la chose est nécessaire, les jeunes agriculteurs, les jeunes ouvriers, les employés de banque, magasin, bureau ; que ces réunions spécialisées se fassent une fois ou deux par mois, sous la direction des officiers de l’ACJC et de l’aumônier, que dans ces réunions l’on ait d’abord en vue la formation religieuse pour l’apostolat, puis la formation professionnelle, toujours en se servant de la méthode jociste »
À Rimouski, comme ailleurs dans le diocèse, le succès est notable auprès des jeunes. En l’espace de quelques mois, la JEC s’implante dans tous les établissements scolaires, à l’exception de trois.
Mais, bien vite, apparaissent les mêmes ombres qu’à l’échelon provincial. Les plaintes affluent sur le bureau de l’évêque. Beaucoup de curés se plaignent d’être méprisés par les jeunes aumôniers, et surtout une concurrence s’installe entre la JAC et l’Union catholique des cultivateurs (UCC) dont on se rappelle le rôle primordial que lui a confié l’évêque pour le développement du diocèse. Si bien que, dès 1937, Mgr Courchesne envoie une circulaire pour rappeler : « Les fidèles auront besoin, toutefois, que nous marquions à leurs esprits que cette participation [à l’apostolat de la Hiérarchie] doit les maintenir à leur rang sous la hiérarchie du sacerdoce sacramentel. » Profitant de la publication de l’encyclique de Pie XI condamnant le communisme, il insiste pour que les curés expliquent la nécessité de l’action sociale afin de contrer le communisme, et qu’ils défendent vigoureusement l’UCC. En 1939, il rappelle aux curés leur devoir d’imposer leur autorité.
LA FIN DE L’ACTION CATHOLIQUE NATIONALE
Parallèlement à ces conflits locaux, la crise entre l’AC et l’ACJC continue à s’envenimer, les évêques tergiversent mais leur enthousiasme pour la nouveauté se refroidit notablement. Mgr Courchesne écrit en 1938 : « Je n’ai pas l’impression que les animateurs de nos mouvements spécialisés aiment beaucoup à se souvenir de ce qui s’est fait avant eux. Je me demande aussi si la culture générale entre assez dans leurs préoccupations. » Il déchante sur les méthodes jocistes, et le fait savoir : « Les méthodes se perfectionnent avec le temps, et il est possible que l’Église recommande d’autres moyens d’action adaptés à de nouveaux besoins. D’autre part, il y a dans toutes ces contingences apostoliques, la part de l’actualité et de la vogue de tel vocabulaire. » Enfin, il remarque de plus en plus un vice caché de l’AC : elle engendre le mépris de la paroisse et de l’autorité parentale.
Pie XI meurt en février 1939, Pie XII qui lui succède publie rapidement l’encyclique Summi Pontificatus dont un paragraphe réhabilite le nationalisme. Mgr Courchesne exulte et le fait savoir aussitôt à son clergé : « Tout le passage de l’encyclique relatif à la vertu du patriotisme dont le divin Maître lui-même donna l’exemple, est à retenir, parce qu’il rappelle que dans l’exercice de la charité il existe un ordre établi par Dieu, selon lequel il faut porter un amour plus intense et faire du bien de préférence à ceux à qui l’on est uni par des liens spéciaux. »
En 1941, les évêques se décident à séparer l’AC de l’ACJC. Mais c’est trop tard, le mal est fait. Les effectifs de l’ACJC se sont atrophiés, ses dirigeants ne voient pas d’autre issue que de déconfessionnaliser le mouvement en 1942 ! C’est un coup au cœur pour Mgr Courchesne, mais il lui ouvre définitivement les yeux sur l’AC. Il écrit à l’abbé Groulx : « La vraie formule pour former des hommes et des catholiques, c’était celle de notre ACJC : le catholicisme au sommet gouvernant et imprégnant tout ce qui est au dessous de lui. » Fidèle disciple de saint Pie X, il va désormais engager le combat contre ces idées et ces mouvements nouveaux, même patronnés par Rome et soutenus sans condition par Mgr Charbonneau, archevêque de Montréal depuis 1940 ; il est désormais convaincu que leur laisser le champ libre revient à détruire la société catholique traditionnelle où le Christ règne.
ANALYSE CRITIQUE DE L’ACTION CATHOLIQUE
En mai 1942, au retour d’une réunion épiscopale où il affronta plus durement que jamais l’archevêque de Montréal, il décide de bannir l’AC de son diocèse. Le 8 mai, il écrit une longue et vigoureuse lettre au cardinal Villeneuve, son métropolitain et vieil ami du cercle nationaliste de Montréal, dont il déplore désormais la faiblesse, pour lui faire part de sa décision.
La première partie en expose la raison immédiate : l’opposition entre les curés et les aumôniers. Sous prétexte d’enquête jociste, l’action du curé est passée au crible d’une critique organisée par l’aumônier général de la JOC, qui enseigne une aggravation des prédications du Père Lacouture. Or, Mgr Courchesne comme le cardinal, après avoir encouragé le jésuite à prêcher ses retraites, en étaient devenus de farouches adversaires lui reprochant de ne s’embarrasser d’aucune nuance doctrinale en faisant obligation à tout le clergé de suivre non seulement les commandements mais aussi les conseils évangéliques. Mgr Courchesne se refuse à laisser la JOC faire pénétrer cet esprit dans la jeunesse : « Le moyen âge et sa chrétienté ont connu des faiblesses. Nos gens ne disent jamais qu’ils ont raison quand ils font ces choses. Ils se confessent et fréquentent l’église. Il reste à les instruire, à leur mettre plus de convictions, plus de réflexion. Je n’admets pas qu’ils soient des païens et je crois qu’on exagère en disant que l’évêque lui-même est païen, ainsi que l’a soutenu partout le prédicateur dont nous parlons. »
Il expose ensuite les ravages dans les jeunes intelligences de la méthode « voir-juger-agir regardée comme l’essence de l’Action catholique, l’action catholique formelle, comme disent ces docteurs en maillot, les aumôniers du jécisme ». Soit elle éloigne en peu de temps de l’action catholique les esprits les plus sérieux, soit, par sa nature même, elle dresse les élèves contre l’autorité. En particulier dans les institutions religieuses, l’attitude de cachotterie adoptée à l’égard des religieux dans l’organisation du travail d’enquête et de conquête contribue à créer un climat de suspicion malsain. On retrouve sous sa plume les mêmes conclusions que celles de notre Père racontant sa propre expérience de la JEC dont il fut président dans ces mêmes années au collège des Frères des écoles chrétiennes du Puy ! Il vous faut ici absolument interrompre cette lecture pour aller lire ce récit dans le premier tome des Mémoires et récits (La JEC p. 191).
Enfin, au nom de l’orthodoxie des méthodes d’action catholique, les mouvements d’AC s’emploient à affaiblir les mouvements diocésains, en particulier l’UCC, avec la connivence des fonctionnaires du gouvernement redevenu libéral en 1940. « Cette fois j’ai dit : non, non et non. Je ne puis laisser ces jeunes prêtres saboter le travail entrepris. J’ai décidé de m’occuper des adultes et de ne pas adopter les procédés en usage dans les mouvements spécialisés de la jeunesse. »
UNE QUESTION DOCTRINALE
Mais la seconde partie de la lettre est plus importante encore, puisque l’évêque de Rimouski y pose la question doctrinale et annonce ouvertement au Cardinal-primat du Canada qu’il ne peut accepter les termes de la lettre pastorale de l’archevêque de Montréal du 29 juin 1941 sur l’Action catholique.
Mgr Charbonneau y soutient en effet que seule l’Action catholique spécialisée peut légitimement porter le nom d’action catholique parce qu’elle seule pratique l’apostolat du milieu par le milieu. Mgr Courchesne fait remarquer que cette théorie donne un caractère purement formel au mandat de la hiérarchie ; or, rappelle-t-il, ce sont les apôtres et leurs successeurs qui ont seuls reçu la charge de l’apostolat, quitte à la déléguer à qui ils veulent selon les besoins du troupeau dont ils ont la charge. Avec son franc-parler, il fait remarquer au cardinal : « Je ne puis m’empêcher de trouver que nous donnons l’impression d’être menés par de jeunes intrigants qui ont d’ailleurs l’impudence de s’en vanter ». Il lui donne l’exemple des manœuvres en cours pour obtenir le retrait de l’approbation de l’épiscopat à l’UCC, et il prévient son métropolitain : « Je suis obligé de prévenir votre Éminence que si pareil tour est joué (...), je m’abstiendrai de participer aux assemblées des évêques. Les politiciens qui ont approché le jeune archevêque savent ce qu’ils veulent quand ils lui offrent leur collaboration. »
Il en arrive donc au constat que « les mouvements d’action catholique spécialisée sont un pouvoir parallèle dans l’Église, pouvoir de juridiction et de pensée ; pour la première fois s’organise une résistance structurée à l’épiscopat. »
Il s’en prend évidemment nommément à tel ou tel dirigeant, mais il regrette surtout que les évêques aient permis que les jésuites soient évincés au profit « d’un groupe de gosses qui ne dépasseront jamais le stade de la puberté dans leur intelligence de la réalité. Je n’ai d’animosité pour personne, mais j’ai peur des ignorants comme du diable en une affaire aussi considérable. »
Mgr Courchesne achève sa lettre par une constatation et deux avertissements… où l’on retrouve la sagesse de saint Pie X condamnant la Démocratie chrétienne du Sillon, mettant en garde « contre ces grands mots avec lesquels on exalte le sentiment de l’orgueil humain ». L’évêque de Rimouski s’étonne de l’engouement des évêques pour la jeunesse : « Cette époque de la vie mérite certes qu’on lui voue attention et confiance, mais s’il y en a une à laquelle il me semblerait étrange de lier de façon exclusive les responsabilités de la hiérarchie, c’est celle-là, compte tenu de la fluidité et de la mobilité qui caractérisent essentiellement l’époque de la jeunesse. »
Il admet que la méthode jociste puisse être propice à l’étude des milieux non chrétiens ou encore des sujets que le magistère n’a pas encore traités, mais il remarque avec lucidité qu’elle donne une formation incertaine, concurrente de la méthode de connaissance par soumission au magistère ou à l’expérience des plus anciens. L’action catholique spécialisée répand donc dans les esprits une méthode propre à subvertir l’enseignement dogmatique.
Enfin, il constate une évolution de la mentalité des jeunes prêtres qui considèrent leur vocation sacerdotale et leur ministère d’une autre façon que leurs aînés depuis qu’ils ont découvert l’apostolat des laïcs, et « cette habitude de juger de tout finit par persuader toute une jeunesse qu’elle est plus capable que ses devanciers. » L’avenir lui donnera tristement raison…
UNE CONTRE-RÉFORME ?
Il décide donc de transformer la JOC en section juvénile du syndicat catholique, la JAC en section juvénile de l’UCC. La JEC est maintenue, mais elle est placée sous la vigilance de la direction des écoles : « les cercles de la JEC n’ont pas à se comporter dans un séminaire comme si l’on était dans un lycée neutre, avec un programme neutre, où il y aurait lieu de noyauter discrètement les convertis pour les lancer en secret à la conversion des autres. »
Il rappelle donc que « l’organisation de l’action catholique dans notre diocèse comprend la hiérarchie, le comité paroissial d’action catholique comme organe essentiel, et les œuvres auxiliaires, c’est-à-dire toutes les autres organisations, soit religieuses, soit économico-sociales, pouvant faire de l’apostolat. C’est le curé qui constitue la hiérarchie dans le milieu et doit organiser l’action catholique de la paroisse, et c’est à lui de s’occuper personnellement du comité paroissial, c’est le plus sûr moyen de ne pas voir partir en lignes divergentes des colonnes d’apôtres de bon vouloir mais d’expérience courte et parfois de sagesse trop récente. »
Il interdit aussi les journaux d’action catholique qui véhiculent les nouvelles doctrines. Il lance un bulletin mensuel, le Centre Saint-Germain, rédigé à Rimouski destiné à être le seul organe autorisé de tous les mouvements d’action catholique. Chaque mois, tous les militants du diocèse y trouvent les sujets d’étude et les articles de fond pour les différentes réunions ou les sermons des curés. Lancé en 1942, il a 15 000 abonnés payants en 1950, et édite à 5 000 exemplaires un supplément pour les enfants. Cependant, ce journal qui se présente un peu comme une C.R.C. populaire, en diffère sur un point capital : la polémique y est proscrite. Aussi, la liste des thèmes abordés donne-t-elle l’impression d’un rappel de la doctrine catholique sans arguments réfutant les idées nouvelles. Autrement dit, Mgr Courchesne leur a fermé la porte d’entrée de son diocèse, mais n’a pas su apprendre à ses diocésains à les combattre au cas où elles entreraient par la fenêtre. Et c’est ce qui arrive… lorsque la télévision et le cinéma s’implantent dans son diocèse, et leurs ravages le prennent au dépourvu.
Il n’empêche que le bilan de son épiscopat à la veille de sa mort en 1950 est impressionnant : 115 paroisses au lieu des 73 existant à son arrivée, 264 prêtres au lieu de 208, 36 séminaristes, 9 instituts religieux masculins au lieu de 6, 15 féminins au lieu de 9, regroupant près de 2 000 religieuses, 4 hôpitaux, 3 orphelinats. En 1940, 174 personnes sur 170 000 recensées comme catholiques n’ont pas fait leurs pâques !
LE TRIOMPHE MORTEL DE LA RÉFORME
Monseigneur Courchesne meurt le 14 novembre 1950, emporté par une crise cardiaque. En janvier de la même année, apprenant la nomination de Mgr Léger en remplacement de Mgr Charbonneau contraint de démissionner, il lui avait écrit une longue lettre analysant la gravité de la situation qu’il trouvera à Montréal, dès son retour de Rome. Il la concluait sur cet avertissement : « Je ne sais pas comment vous ferez pour vous débarrasser de cette clique de jeunes prêtres imbus d’idées fausses. »
Son coadjuteur, Mgr Parent, lui succède et continue son œuvre avec une âme de disciple enthousiaste. Mais la première session du Concile le rend malade. Se sentant incapable de lutter, il démissionne. L’historiographe du diocèse précise : « il vivra retiré à l’archevêché, laissant à ses collaborateurs l’entière responsabilité de leurs décisions ; il n’est jamais intervenu pour influencer le cours des événements, voire même pour les commenter, même s’il est permis de présumer qu’il a été bouleversé par certaines dispositions du Concile ou par certaines décisions locales. » Son coadjuteur, Mgr Lévesque, le remplace. Responsable de la revue diocésaine d’action catholique du temps de Mgr Courchesne, c’est donc un homme de doctrine ; il accepte pourtant avec un enthousiasme étonnant le Concile Vatican II qu’il juge être la réponse adéquate de l’Église à l’évolution d’un monde moderne jugée inévitable. Il en assure l’application forcée dans son diocèse, et en moins de dix ans, il détruit toute l’œuvre de ses prédécesseurs. « Ministère court, mais riche en libération, commente l’historiographe avant de préciser que Mgr Lévesque démissionne en mai 1973, prématurément et aussi par lassitude… » Depuis, on gère la crise.
Mgr Courchesne avait un autre proche collaborateur, le chanoine Ouellette, son secrétaire. Devenu curé près de Rivière-du-Loup, il fit beaucoup de bien en restant fidèle autant que faire se peut à la Tradition. Lecteur des Lettres à mes Amis puis de La Contre-Réforme Catholique, il y retrouvait la doctrine de son ancien évêque tant admiré. C’est pourquoi il refusa de s’affilier aux prêtres de Mgr Lefebvre et garda une famille amie dans la fidélité à la C.R.C. Il décéda en 1982, quelques mois avant la fondation de notre cercle de Rivière-du-Loup.
La Renaissance catholique nos 46-47, avril-mai 1997