Pierre Lambert : l’honneur d’être Phalangiste
SON père disait de lui : « Pierre ne m’a pas coûté cher en frais scolaires, mais en soucis... » En effet, il avait quitté l’école le jour de ses seize ans, préférant à la monotonie des jours de classe, les durs travaux « dans l’bois ». De nos jours, il aurait été catalogué “ hyperactif ” et soigné en conséquence, mais à l’époque, ses excellents parents préférèrent lui trouver un emploi bien pénible, question de l’éprouver et de lui apprendre les réalités de la vie. Il tint bon ; sa force herculéenne aidant, ses qualités de meneur d’hommes se révélèrent, ce qui lui valut de se hisser peu à peu dans la hiérarchie d’une des plus grandes papetières du Canada. À fin des années 1970, il devint le responsable de la pourvoirie, avec la charge de recevoir les bons clients et les grands de ce monde, de les régaler et faire en sorte qu’ils repartent convaincus d’être d’excellents chasseurs ou pêcheurs...
Cette réussite sociale avait refroidi sa piété d’enfant, mais sans toutefois effacer les bons souvenirs de son curé et de ses maîtres : les frères de l’Instruction chrétienne au primaire, et les prêtres du Séminaire où il avait commencé son secondaire.
Il se laissa tenter par la politique : un homme actif comme lui avait tout pour être un bon organisateur d’élections, on lui promit monts et merveilles. Il s’y donna à fond, comme dans tout ce qu’il faisait, mais son candidat ne fut pas élu ! Il en tira une bonne leçon qui le détourna à jamais de la politicaillerie démocratique, de ses pompes et de ses œuvres au service du mensonge organisé.
Il servit une meilleure cause en mettant ses qualités d’entraîneur d’hommes au service de l’armée canadienne. Il entraîna longtemps les “ cadets ” de sa petite ville de Grand-Mère ; défilés et musique militaire le transportaient d’enthousiasme...
Ces occupations étaient déjà bien prenantes pour un père de famille de deux enfants. Mais toujours prêt à rendre service, et très habile de ses mains, Pierre était aussi la providence de ses voisins ou amis, en panne de ceci ou cela.
Tel était Pierre Lambert, quand le Christ frappa à la porte de son cœur, avec sa Croix. Durant l’été de 1982, une cabale le déposséda de la direction de la pourvoirie. Cette mise à pied le conduisit, par l’intermédiaire d’un ami, à notre première maison Sainte-Thérèse, à Saint-Gérard-des-Laurentides, qui venait d’être fondée et qui avait bien besoin d’un expert pour être rénovée et isolée. En échange, notre ami commun lui avait promis que sainte Thérèse lui retrouverait un bon emploi, ce qu’elle fit.
Pendant plus d’un mois, il travailla donc à la restauration de notre première maison. Un tour de force resta dans nos annales : alors que la bâtisse était levée pour l’aménagement d’un sous-sol, une poutre maîtresse qui soutenait le plancher céda au-dessus de la tête de notre ami et de ses aides, parmi lesquels le futur frère Henry ! Heureusement, tel François d’Assise soutenant la basilique Saint-Jean-de-Latran en ruine, selon le songe d’Innocent III, notre ami maintint la poutre en place à la force de ses bras, le temps de l’étayer.
Après un tel dévouement, il était bien normal que notre homme fort s’intéressât à ces religieux d’un genre nouveau au Québec, et surtout à la doctrine de leur fondateur. Il écouta ses premières cassettes CRC et ce fut aussitôt l’enthousiasme, surtout pour la Métaphysique totale, qui le conquit... rien de moins étonnant pour un homme si relationnel !
C’est alors qu’il connut sa plus grande épreuve : sa femme le quitta ; plus douloureux encore, à son grand étonnement, non seulement la garde des enfants ne lui fut pas accordée, mais il fut dans l’impossibilité pratique d’exercer son droit de visite. Ses êtres les plus chers lui étaient donc arrachés.
La maison Sainte-Thérèse devint son havre de paix, qu’il rejoignait à l’improviste dès que le poids à porter était trop lourd. Dans la détresse de son âme, il apprit à prier, allant à la messe le plus souvent possible. Plusieurs fois, il reçut de grandes grâces après la communion, grâces de force et de charité, qui inondaient son âme de consolations et d’une joie indicible. De ces jours, si tristes pourtant, date sa tendre dévotion à l’Eucharistie, dont témoignait la manière touchante avec laquelle il disait la formule liturgique qui précède la communion : « Seigneur, je ne suis pas digne de vous recevoir... » ; la rencontre de son âme blessée avec le Bon Samaritain embaumait toujours son cœur.
Commença alors pour lui la modification évangélique : il avait eu la preuve de l’amour miséricordieux de Jésus pour lui, il voulut aimer Jésus en retour. Il fallait pour cela avancer peu à peu sur le chemin des béatitudes, où notre Père le guida fermement et sûrement.
Une seule direction spirituelle lui avait suffi pour s’attacher à lui, en août 1983. Notre Père ne l’avait pas ménagé : « Mais c’est ce que j’ai aimé, avec lui on avait l’heure juste, c’était la vérité. » Nous n’en avons jamais rien su de plus, sinon que notre Père lui recommanda la récitation du chapelet et lui donna le sien : précieux cadeau qui devint son bien le plus cher, c’est celui qu’il égrenait encore le dernier jour durant ses pires souffrances.
Le premier effort qu’il dut faire, mais qui suffit à le lancer sur la voie évangélique, ce fut le pardon. Avec un caractère bouillant comme le sien, c’était quasi héroïque. Il le fit avec simplicité, considérant finalement que ceux qui l’avaient fait souffrir étaient le plus à plaindre. Car cette épreuve lui fit connaître la CRC, et par elle, le Cœur de Jésus et de Marie : grâce sur grâce...
Notre Père lui apprit aussi à aimer l’Église, et il se dévoua, non sans mérite, à sa paroisse, comme marguillier, puis comme membre du conseil pastoral paroissial. Lui qui avait été si fortifié dans l’épreuve par l’Eucharistie, ne pouvait que s’attrister de voir nos églises se vider.
Mais c’est évidemment pour notre communauté que son dévouement se fit sans bornes. C’était pour lui, comme il disait, « un honneur ». Sa science de la construction et ses qualités de négociateur pour le prix des matériaux furent largement mises à contribution à chacune de nos constructions. Il avait aussi le don de parler aux nouveaux et de s’attirer les sympathies, forgeant ainsi de solides amitiés CRC.
Parmi les premiers, il prononça son acte d’allégeance à la Phalange, en août 1985. Il considérait ce jour comme un grand moment de sa vie.
Il avait conscience, tout d’abord, de la richesse inouïe de la doctrine de notre Père, et il avait compris qu’il fallait travailler pour se l’approprier. Il n’avait pas beaucoup d’instruction, mais il s’appliquait à lire le mensuel, assidûment, le dictionnaire à portée de la main. Il notait ses questions qu’il ne manquait pas de poser dès que possible, fier de comprendre quelque chose de nouveau. Il était tellement droit que toutes les démonstrations de notre Père s’imposaient. Les actions phalangistes l’enthousiasmaient ; facilement reconnaissable par sa stature, il devint la terreur des propagandistes de Medjugorje. La distribution de tracts se transformait souvent en polémique, et il ne cachait pas sa joie de « leur river le clou », mais, comme le voulait notre Père, « avec compétence et courtoisie », enfin... presque toujours.
Ces dernières années, il s’inquiétait de voir que nos jeunes phalangistes n’avaient pas ce goût de la lecture et de l’étude appliquée, nécessaire pour être fidèle et pour ensuite propager la vérité.
Car il avait compris que la CRC était un combat contre Satan, et donc que les coups durs étaient inévitables. Voilà pourquoi il demandait chaque jour la grâce de la fidélité, et aurait voulu que tous les phalangistes, guidés par les frères, s’attellent à la pratique de la vertu, sans pour autant perdre de leur joie de vivre. Il avait été très impressionné par l’avertissement de notre Père, avant son exil en 1996 : « Nous passerons tous au crible de la tentation ! »
D’où sa fidélité non négociable. Son honneur et son bonheur étaient de soutenir tout ce qui venait des communautés. Lorsque notre Père fut traîné dans la boue, un seul phalangiste canadien fit défection, et c’était l’un de ses amis ; il en fut malheureux et fit son possible pour le retenir. Pour lui, c’était tout simple : comment le seul prêtre à se lever contre l’Antichrist aurait-il pu avoir une double vie ?
Son caractère fort était largement atténué par une douce humilité faite d’affection, de reconnaissance, d’estime des autres, qui le rendaient si attachant.
Avec de telles qualités, il allait de soi que la Sainte Vierge lui ferait prendre « le chemin de Jérusalem » sur les traces du Divin Maître, celui du dépouillement, des humiliations et de la croix.
L’incendie de l’usine qu’il dirigeait, puis son dévouement auprès de ses parents âgés l’obligèrent à abandonner son train de vie d’antan. Après leur décès, il aida au développement de l’entreprise d’un bon ami phalangiste, mais le diabète le frappa et le contraint finalement à quitter son emploi avant l’âge de la retraite. Il connut alors la vraie pauvreté et vint s’installer en 2007 près de notre maison Sainte-Thérèse, partageant en partie notre vie de communauté, tout en respectant une grande discrétion.
À partir de 2013, le poids de la maladie se fit plus lourd. Au début de cette année, cet homme fort était devenu un vieillard prématuré, se déplaçant avec une marchette. Mais l’âme et le cœur, eux, étaient plus libres, plus doux que jamais, développant une patience qui ne lui était certes pas naturelle. Il s’appliquait à imiter notre Père dans sa maladie. Et comme jamais il ne perdit ses facultés, il put tout offrir pour le Saint-Père et la CRC, jusqu’au dernier moment.
Un jour, les médecins lui ont annoncé qu’ils ne pouvaient plus rien faire pour lui. Quelques minutes après, oublieux de lui-même, il parlait des derniers travaux de frère Bruno, s’enthousiasmait du récent discours de Poutine, de l’audience générale du Pape, etc.
Comme beaucoup d’amis étaient venus le visiter le dimanche précédent, il me dit avec la plus grande sincérité : « Je ne comprends pas pourquoi il y a tant d’amis qui m’aiment bien ! »
Était-il prêt pour aller au Ciel ? Il le pensait parce que « j’ai la foi et il y a les promesses de Jésus et de Marie ». Cette réponse, c’est toute l’âme de notre ami, vrai disciple de notre Père. Pas question de se mettre en avant, de faire son bilan, mais humblement revenir à l’essentiel : la foi et la miséricorde. C’est vrai qu’il était prêt.
Un mois plus tôt, il m’avait dit : « Ce qui m’embête dans cette maladie, c’est que je ne souffre pas vraiment. » Cela le gênait parce qu’il voulait souffrir avec Jésus, pour Jésus, comme Jésus avait souffert pour lui. C’est bien pourquoi il consentit de bon cœur à un dernier renoncement, celui de devoir mourir à l’hôpital, et non pas chez lui, entouré de toute la communauté, ce qui aurait été son vœu le plus cher. Le Bon Dieu l’aima jusqu’à la fin, et fit boire à son généreux disciple le calice jusqu’à la lie : ses dernières vingt-quatre heures, qui furent un vrai calvaire.
Une heure avant sa mort, le frère qui le veillait, le voyant encore grimacer de douleur, lui demanda s’il souffrait toujours. « Oui, mais depuis le temps que je veux souffrir. » Par contre, quand l’infirmière arriva pour lui poser la même question, il répondit un énergique : « Non ! » de crainte qu’elle ne lui donne quelque calmant qui l’aurait empêché d’offrir au Cœur de Jésus et de Marie, d’ultimes actes d’amour pour le Saint-Père, pour le triomphe du Cœur Immaculé de Marie, pour la CRC.
Quelques minutes avant la fin, le frère l’entendant gémir, lui rappela le Ciel. « C’est le but ! » dit-il, ce fut sa dernière parole. Toute souffrance disparut, il sembla s’endormir. Prévenu par les infirmières de la chute des signes vitaux, le frère commença la prière des agonisants. Notre ami rendit alors paisiblement sa belle âme, sanctifiée par la grâce, à son Dieu et Sauveur, pour retrouver au Ciel son cher Père. L’honneur de sa vie fut de lui être fidèle du jour de leur première rencontre.
Ainsi finit le beau règne de Pierre Lambert, phalangiste de l’Immaculée, par la miséricorde de Dieu.
frère Pierre de la Transfiguration