LA RENAISSANCE CATHOLIQUE
N° 245 – Juillet 2018
Rédaction : Maison Sainte-Thérèse
Monseigneur Norbert Provencher, à l’origine
de la conquête de l’Ouest canadien
LE 2 juillet 2018, le diocèse de Saint-Boniface, Église mère du Nord-Ouest canadien, fêtera son deuxième centenaire en commémorant l’arrivée de son premier missionnaire, qui deviendra son premier évêque, Mgr Joseph-Norbert Provencher, une grande figure de notre histoire, malheureusement bien oubliée aujourd’hui. C’est grâce à Mgr Bourget, le saint évêque de Montréal, qui a fait un devoir de conscience à l’un de ses prêtres d’écrire sa biographie, que le fondateur de l’Église de l’Ouest canadien n’est pas complètement tombé dans l’oubli. Le seul portrait que nous ayons de lui nous laisse l’image d’un géant, et c’est bien ce qu’il était.
ENFANT DE NICOLET
« Le plus bel évêque de la Chrétienté », comme l’avait qualifié le pape Grégoire XVI après une audience, était natif de Nicolet où il avait vu le jour le 12 février 1787, sixième enfant d’une famille de douze. Ses parents, de modestes agriculteurs, bons chrétiens, n’étaient pas assez fortunés pour faire suivre des études à leur progéniture. Mais comme le petit Norbert était un enfant facile, agréable et intelligent, c’est un oncle, riche et sans enfants, qui l’adopta et lui fit faire sa scolarité. Il fut parmi les premiers élèves du curé Brassard qui ouvrit en 1801 une école préparatoire aux études classiques à Nicolet.
L’année suivante, notre futur missionnaire perdit son père ; sa mère, de santé fragile, alla le rejoindre dans la tombe deux ans plus tard. Tous les enfants furent alors dispersés, Norbert entra au séminaire de Nicolet qui venait d’être inauguré. Parmi ses camarades, le futur Mgr Cooke, premier évêque de Trois-Rivières.
Il ne fut pas un brillant élève, mais il se fit remarquer par sa bonté, sa bonne humeur et son jugement droit. Et comme depuis toujours il avait un attrait pour le sacerdoce, c’est tout naturellement qu’il rejoignit le séminaire de Québec en 1809 pour compléter sa théologie. Des ennuis de santé retardèrent son ordination, qui eut lieu le 21 décembre 1811.
L’évêque de Québec, Mgr Plessis, remarqua ce jeune prêtre à la constante bonne humeur, quoique de santé fragile malgré sa taille impressionnante. Aussi n’hésita-t-il pas à l’employer selon les besoins de son immense diocèse en mal de prêtres. Ne rechignant devant aucune tâche, l’abbé se retrouva vicaire à Québec, puis à Vaudreuil ; l’année suivante il fut envoyé à Deschambault.
En s’y rendant pour la première fois, il fut victime d’un accident devant l’Hôpital général de Québec. La voiture dans laquelle il se trouvait glissa dans le fossé. Écrasé, notre jeune abbé est transporté à l’hôpital, presque incapable de respirer. Heureusement, il n’a aucune blessure grave. « Chose étonnante, remarque son biographe, cette chute causa dans toute sa constitution une révolution salutaire ; car à partir de ce moment, il devint fort et robuste. »
L’année suivante, il est vicaire à Saint-Joachim de Pointe-Claire, à Montréal, où il laissa un souvenir impérissable, faisant de ses anciens paroissiens des soutiens indéfectibles de ses œuvres missionnaires. Il n’y reste pourtant que deux ans, car en 1816, il est nommé curé de Kamouraska, au moment même où Lord Selkirk, un protestant écossais, demandait à l’évêque de Québec des prêtres pour sa colonie fondée six ans plus tôt sur les rives de la Rivière Rouge, non loin du lac Manitoba, autrement dit à l’autre bout du monde, pour l’époque.
LA COLONIE DE LA RIVIÈRE ROUGE
Il faut savoir qu’après la conquête anglaise, le commerce de la fourrure vers la Nouvelle-France fut complètement interrompu pendant plusieurs années au profit de la Compagnie de la Baie d’Hudson, qui n’avait pas de réseau de collecte des peaux : les autochtones les apportaient aux comptoirs de la Baie d’Hudson.
Lorsque les Anglais installés à Montréal voulurent relancer le commerce de la fourrure, ils fondèrent la Compagnie du Nord-Ouest, avec des coureurs des bois francophones. Une guerre commerciale commença alors entre les deux institutions : la première se faisant attribuer l’autorité sur tous les territoires du Nord-Ouest, tandis que la seconde profitait au maximum des bons rapports entre les francophones et les Indiens.
En 1810, Lord Selkirk, propriétaire de 40 % des actions de la Baie d’Hudson eut l’idée d’installer une colonie sur les bords de la Rivière Rouge, à 40 miles de son embouchure, dans le but d’y amener des compatriotes. En 1812, une centaine d’Écossais s’y établirent. Toutefois, la Rivière Rouge étant une des voies de pénétration des agents de la Compagnie du Nord-Ouest vers l’ouest, celle-ci redouta que la paisible colonie agricole, une fois prospère et populeuse, s’opposât un jour au passage de ses fourrures.
Par deux fois, la colonie fut dévastée sans pitié. En 1816, Lord Selkirk fut même obligé de recruter des soldats pour la défendre. Mais constatant que beaucoup d’Écossais étaient catholiques comme les coureurs des bois employés par la compagnie rivale, il en vint à la conclusion que seuls des prêtres seraient en mesure de mettre la paix et de la maintenir.
C’est ce qui explique l’admirable lettre que le riche écossais protestant écrivit à l’évêque de Québec pour lui demander au moins un prêtre, dressant en quelques paragraphes tout un programme d’évangélisation !
Mgr Plessis accéda sans tergiverser à sa requête et désigna le curé de Boucherville, l’abbé Tabeau, pour se rendre là-bas en mission d’exploration. Malheureusement, celle-ci se passa très mal : outre les épreuves du voyage, il fut pris dans une des attaques des hommes de Montréal contre la colonie. Son rapport fut donc défavorable.
Mais Lord Selkirk revint à la charge, appuyé cette fois par d’autres membres influents de la Compagnie de la Baie d’Hudson, tous protestants. En 1818, comme l’abbé Tabeau n’était guère enthousiaste, l’évêque s’adressa à l’abbé Provencher : il s’agissait à la fois d’aller convertir les sauvages, mais aussi « de ramener sur le bon chemin les mauvais chrétiens » de ces contrées abandonnées.
La lettre de l’abbé à son évêque juste avant son départ de Lachine est admirable d’humilité, puisqu’il se sent très inférieur à la tâche, mais également d’alacrité, heureux de servir ainsi Jésus et son Église.
DES DÉBUTS HÉROÏQUES
C’est le 19 mai 1818 qu’il quitte l’île de Montréal, en compagnie de l’abbé Sévère Dumoulin, un jeune vicaire de la cathédrale de Québec. Trente-cinq ans plus tard, jour pour jour, il sera victime d’une attaque cérébrale qui le conduira à la mort en quelques jours.
Pour bien comprendre le mérite de ces années de mission, il ne faut jamais oublier qu’il fut le premier à partir ainsi. Il n’avait aucune expérience et n’était soutenu par aucune congrégation religieuse, comme l’avaient été les Jésuites deux siècles plus tôt. Sa seule leçon de missiologie : les biographies de saint François Xavier et saint Boniface lues au séminaire.
Mis à part les difficultés des portages qui le firent suer abondamment au point d’envier son compagnon que « l’embonpoint ne surcharge pas », son voyage est sans aventure notable. Il rencontre les premiers sauvages au lac Nipissing. À l’aide d’un interprète, il les instruit sur la nécessité du baptême pour être sauvé. Nous sommes évidemment avant le concile Vatican II.
Le 15 juillet, ils abordaient à Rivière Rouge. La soutane impressionnait beaucoup les Indiens, et les vieux coureurs des bois pleuraient d’émotion en revoyant des prêtres... ce qui pour certains n’était pas arrivé depuis leur enfance. Des métis n’en avaient jamais vu non plus, mais leurs parents ou leurs grands-parents leur en avaient parlé. Tous ces braves gens, ces « mauvais chrétiens » comme disait Mgr Plessis, n’étaient pas des impies, ils ne demandaient qu’à être bons chrétiens. Aussi les invita-t-il à revenir dès le lendemain pour procurer sans attendre la grâce du baptême à tous leurs enfants de moins de six ans.
Puis, deux fois par jour, il y eut instruction de catéchisme, et corvée pour construire l’humble presbytère et la première chapelle. La pauvreté était au rendez-vous. La guerre avait détruit les récoltes des années précédentes, donc ni pain ni légume à manger, uniquement de la viande séchée ou du poisson. Par contre, les moissons de cette année s’annonçaient bonnes, jusqu’à ce que, le 3 août, un nuage de sauterelles les ravageât.
Les nouveaux colons durent s’installer plus au sud, à Pembina, où se trouvaient déjà beaucoup de métis qui vivaient de la chasse. Pendant plusieurs années, Rivière Rouge va survivre grâce à eux.
La première habitation du missionnaire était bien modeste. Bâtie en bois de tremble, recouverte de glaise et de roseaux, elle mettait à l’abri de la neige, mais non pas du froid. Pas de poêle, pas de vitres, une cheminée en glaise : juste de quoi ne pas périr gelé. La maison faisait cinquante pieds de long, mais seuls vingt étaient habitables l’hiver.
En septembre, M. Dumoulin alla s’installer à Pembina et l’abbé Provencher resta seul. Quel mérite ! dans cette solitude et ce froid, alors qu’il aurait pu être curé de Kamouraska, une des plus belles paroisses du diocèse ! Heureusement, ses fidèles ne manquaient pas les instructions.
À Pembina, les choses allaient bien : 52 baptêmes, plusieurs régularisations de mariage. On décida donc la construction d’une chapelle et d’un presbytère, tandis qu’à Saint-Boniface on préparait le bois pour une église digne de ce nom. L’abbé Provencher se rendit aussi plus à l’ouest, jusqu’au Fort Qu’Appelle, où il baptisa 40 enfants et confessa tous les francophones catholiques, serviteurs de la Compagnie, qui n’avaient pas vu de prêtres depuis des lustres.
En 1819, Mgr Plessis lui envoya quatre ouvriers pour bâtir la mission, dont une chapelle de 80 pieds par 35.
C’est cette année-là qu’on traça la ligne frontière entre le Canada et les États-Unis ; Pembina se retrouva aux États, ce qui causa un problème de juridiction ; malgré cela, l’abbé Provencher jugea qu’il ne pouvait abandonner la population.
Cet été-là encore, comme l’année précédente et comme l’année suivante, les sauterelles détruisirent les récoltes. Il fallut de nouveau se faire chasseur, de grandes quantités de viande étant nécessaires pour passer l’hiver. Sans la présence du prêtre, les colons se seraient découragés.
Tant l’abbé Provencher que l’abbé Dumoulin furent admirables. En 1820, celui-ci monta jusqu’à la Baie d’Hudson et y ouvrit une école, qui fonctionna tout l’hiver.
Ils donnaient surtout l’exemple de la piété. Après la récitation du bréviaire, tous les déplacements se faisaient en récitant inlassablement le chapelet. Évidemment, la messe était quotidienne et, à la mission, il y avait salut du Saint-Sacrement chaque soir. Quand, devenu évêque, Mgr Provencher demandera des prêtres, il précisera qu’il les voulait certes savants, mais surtout pieux.
ÉVÊQUE DE JULIOPOLIS
Conformément au désir de son évêque, l’abbé Provencher revint à Québec à l’été 1820. Ce séjour lui fut amer. Après un voyage pénible, arrivé à Montréal en octobre, il était dans un tel dénuement qu’il dut rester à l’hôtel-Dieu le temps qu’on lui fasse de nouveaux habits et une soutane. Mais surtout il se heurta à une cabale. On le fit passer pour un incapable, on dénigra sa mission qui coûtait trop cher au diocèse, etc.
Heureusement, Mgr Plessis fut d’un tout autre avis. D’ailleurs lors d’un séjour à Rome au début de cette année 1820, il avait obtenu la division de son immense diocèse. Pour ne pas trop heurter Londres, on lui avait accordé cinq évêques auxiliaires, pour Montréal, Halifax, Toronto, Kingston et... Rivière Rouge.
Mgr Plessis écouta avec satisfaction le rapport de son jeune missionnaire et, une fois terminé, il lui annonça que le Saint-Père le faisait évêque de Juliopolis avec résidence à Saint-Boniface. Ce fut comme un coup de tonnerre. Il demanda un temps de réflexion pendant lequel il occupa la cure de Yamachiche.
Une très belle lettre de Mgr Lartigue, dont la nomination à Montréal venait d’être rendue publique, emporta toutes ses objections le 19 mars 1821. Mais il obtint de retarder sa consécration d’une année, pour laisser le temps aux deux compagnies rivales de régler leur différend, ce qui était devenu possible après la mort de Lord Selkirk en avril 1820.
Il employa cette année à essayer de recruter un noyau de fervents catholiques capables de donner le bon exemple, mais aussi, par leur travail, de soutenir les œuvres qu’il avait le projet de mettre sur pied. Il aurait également voulu trouver des prêtres... Ce fut sa grande déception : seul un jeune séminariste, M. Harper, accepta de le suivre.
Alors qu’on lui avait promis le transport gratuit de ses biens et de son matériel, la nouvelle compagnie, résultante de la fusion des deux autres, refusa d’honorer les promesses. Il dut donc organiser son voyage et en supporter les frais, ce qui absorba les économies faites en deux ans.
Il fut sacré évêque dans l’église paroissiale de Trois-Rivières, le 12 mai 1822. Le 31 mai, il quittait Lachine et abordait à Saint-Boniface le 7 août. Son arrivée fut triomphale et remplie d’émotion.
Il retrouva des colons fort éprouvés par deux années supplémentaires de famine. Si les récoltes s’annonçaient belles, les constructions avaient été abandonnées, sa « cathédrale » n’avait que sa charpente, elle ne sera terminée qu’en 1825. De toute manière sa priorité était de déménager à Saint-Boniface ceux de Pembina qui voulaient rester canadiens,.
Heureusement la bonne récolte de cette année encouragea la mise en culture des terres. Monseigneur se fit ingénieur agronome et négociant en grains. Il commença aussi une école pour les garçons.
Son grand souci, dès cette époque, était de se procurer des religieuses. À ses yeux, elles étaient indispensables pour assurer la stabilité de la population métisse, jusqu’à présent essentiellement nomade.
Une évidence apparaît alors, pourtant complètement occultée de nos jours : c’est à l’action des missionnaires qu’on doit la réussite et le développement de ce qui sera le noyau du Manitoba. Ce sera également le cas pour tout l’Ouest et le Nord-Ouest canadiens : le clergé et les religieux catholiques ont présidé à leur mise en valeur et leur essor jusqu’à l’annexion au Canada en 1867, c’est-à-dire pendant quarante ans.
1823, 1824, 1825 furent trois belles années de récoltes, mais 1826 sera marquée d’une pierre noire : après un hiver des plus rudes, des neiges exceptionnellement abondantes provoquèrent une effrayante inondation. Le niveau de la Rivière Rouge monta 40 pieds au-dessus de son niveau normal ! Elle commença à déborder graduellement pendant les 3 premières semaines de mai, elle ne rentra dans son lit que le 20 juin. Tout était dévasté, seuls l’église et le presbytère restèrent debout, mais tous les objets à l’intérieur étaient abîmés par l’eau.
UNE TÉNACITÉ À TOUTE ÉPREUVE
À ce coup, un bon nombre de colons émigrèrent aux États-Unis. Mgr Provencher resta, assurant aux courageux qui se remettaient au travail : « Ce pays, aujourd’hui sauvage, deviendra un grand pays, et vos enfants le verront. » Providentiellement, un groupe de 150 anciens employés de la Baie d’Hudson arriva à cette époque, prenant la place des partants. Monseigneur, lui, avait racheté le bétail de ceux-ci pour se constituer une ferme diocésaine dans le but de subvenir aux besoins de la colonie en cas de pénurie de viande.
Il ne sut qu’en 1826 la mort de Mgr Plessis, l’année précédente, et il lui faudra attendre encore un an pour apprendre que Mgr Panet lui avait succédé. L’amitié qui unissait les deux prêtres allait être précieuse pour l’exilé de l’Ouest : l’évêque de Québec lui enverra chaque année un journal quotidien des événements du diocèse !
En 1828, Mgr Provencher commença la construction de son évêché, premier édifice du pays à être construit en pierre. Mais comme il n’y avait pas de chaux pour faire le ciment, on prit de la glaise... et au printemps suivant, avec les pluies, on eut la désagréable surprise de voir les joints se délayer. Quelques années plus tard, il faudra tout reconstruire.
Imaginons le courage qu’il lui fallait pour supporter ces contretemps, ces déboires, ces famines, le froid surtout pendant des jours et des jours.
En janvier 1829, il ouvrit une école pour jeunes filles, espérant que des religieuses viendraient vite s’en occuper. En attendant, il engagea les deux filles d’un ancien bourgeois de la Compagnie pour en faire les institutrices.
Il dut de nouveau entreprendre le pénible voyage jusqu’à Montréal et Québec pour se procurer des ressources et recruter des prêtres et des religieuses. Cette fois, tout se déroula à merveille : les quêtes furent généreuses et une aide de la Propagation de la Foi lui permettra de commencer le chantier de sa cathédrale... avec du vrai ciment. Mais surtout il trouva un bon missionnaire en la personne de M. Belcourt, un autre compatriote de Nicolet. Malheureusement, à son retour, c’est M. Harper qui le quittait. Jamais Mgr Provencher ne pourra garder plus de deux prêtres séculiers avec lui ; c’est dire la dureté de leurs conditions d’existence.
En 1832, deux séminaristes lui arrivèrent de Québec, Charles Poiré et Jean-Baptiste Thibault, qu’il ordonna prêtres à Saint-Boniface. Le premier prit en charge les déplacés de Pembina à la desserte Saint-François-Xavier, le second dirigea l’école des garçons. Quant à M. Belcourt, il partit fonder une mission à 45 miles de Saint-Boniface, dans le but de fixer les Indiens en les initiant à l’agriculture ; tout un programme.
Pendant tout ce temps, lorsqu’il ne s’occupait pas de son petit troupeau de Saint-Boniface ou des dessertes des environs, Monseigneur travaillait sur le chantier de la cathédrale où sa force herculéenne était la bienvenue pour hisser les pierres ou le mortier sur les échafaudages.
Lorsqu’en 1834, il reçut une requête pour établir une mission en Colombie, sur la côte du Pacifique, avec l’aide de la Compagnie de la Baie d’Hudson, il décida de se rendre en Europe afin de se faire préciser les limites de son immense vicariat, plus vaste alors que l’Europe, et donc celles de ses pouvoirs.
À Londres, l’estime de Lord Simpson, le principal dirigeant de la Compagnie de la Baie d’Hudson, le fit bien accueillir par le gouvernement qui lui accorda les permissions nécessaires. À Paris, il impressionna fortement le conseil de la Propagation de la Foi, ce qui lui assurera davantage de dons. À Rome, enfin, il obtint gain de cause dans les différents dossiers que l’évêque de Québec lui avait confiés, en particulier la division du diocèse et l’autonomie de ses évêques « auxiliaires ». Par contre, il lui fut confirmé que son autorité s’étendait jusqu’à la côte du Pacifique. Reçu deux fois en audience par le Saint-Père, il eut aussi le bonheur d’assister aux cérémonies de la Semaine sainte à Saint-Pierre de Rome. En juin 1836, il était de retour à Montréal.
Il eut bien de la difficulté pour recruter des missionnaires pour la Colombie. Ce n’est qu’en janvier 1837 que deux prêtres de Trois-Pistoles, MM. Norbert Blanchet et Modeste Demers, acceptèrent de le suivre. Entre-temps, Mgr Provencher avait eu la consolation d’introniser Mgr Lartigue sur le siège de Montréal, le 8 septembre 1836.
De retour à Saint-Boniface en juin, il trouva la colonie encore éprouvée par deux années de mauvaises récoltes. La cathédrale n’avait toujours pas de toit, l’évêché était à reconstruire et les frais du voyage avaient englouti une bonne part des économies.
Si une fondation à Edmonton échoua cette année-là du fait de l’opposition des représentants locaux de la Compagnie, les deux missionnaires partis pour la Colombie y arrivaient après cinq mois de voyage. Et ce fut une vraie consolation pour l’âme apostolique et surnaturelle du vicaire apostolique de Saint-Boniface.
Dès lors, il n’aura plus d’autre souci que d’obtenir le concours d’ordres religieux, d’ouvrir les missions du Nord-Ouest, de diviser son vicariat au profit de la Colombie et de se faire nommer un coadjuteur.
L’AVENIR ASSURÉ
C’était d’autant plus urgent à ses yeux qu’il se sentait vieillir, même s’il n’avait que cinquante ans. Surtout, il constatait que les remarquables résultats du travail des prêtres séculiers étaient fragiles, faute de soutien. Seules des congrégations pouvaient assurer la stabilité et la pérennité nécessaires à une œuvre missionnaire de longue haleine.
Il se décida donc à retourner de nouveau à Montréal en 1843 pour en convaincre de fonder dans ses contrées. Mgr Bourget avait préparé le terrain auprès des Sœurs Grises, qui, après neuf jours de prières et de réflexion, acceptèrent. Mgr Provencher recruta aussi deux jeunes ecclésiastiques de Nicolet, dont l’un allait se révéler un auxiliaire de première valeur : l’abbé Laflèche, le futur évêque de Trois-Rivières.
C’est déjà bien réconforté que Mgr Provencher s’embarqua pour la France, où il put obtenir de larges subventions de la Propagation de la Foi. Mais, si les nouvelles de M. Thibault, qui parcourait la Prairie pour préparer de futures missions, étaient bonnes, aucune des congrégations sollicitées ne lui accorda de sujets. Il est vrai que le Père De Smet, qui se lançait dans l’évangélisation de l’Ouest des États-Unis, était passé juste avant lui.
De retour au Québec, Mgr Provencher fit étape à Belœil, chez les Oblats de Marie Immaculée, qu’il ne connaissait pas. Il se dit que peut-être il avait là la communauté qu’il lui fallait, il en parla le lendemain à Mgr Bourget qui entra d’autant plus facilement dans ses vues qu’elles étaient aussi les siennes !
En avril 1844, il reprit le chemin de Saint-Boniface, suivi de près par ses deux nouveaux prêtres et quatre héroïques Sœurs Grises. Elles arrivèrent le 21 juin à 1 heure du matin ! Ce n’était pas l’heure idéale pour une grande réception, mais elles ne perdirent rien pour attendre le dimanche suivant.
À l’automne, on fonda la mission Sainte-Anne. L’abbé Laflèche pendant ce temps apprenait les langues autochtones à une vitesse record. Très actif, très courageux, à l’école de M. Thibault, il devint un missionnaire de premier ordre. Les quatre premiers Oblats arrivèrent en juin 1845. On sait la déception de l’évêque en voyant débarquer le tout jeune et frêle frère Taché, qui n’était que sous-diacre. Mais quelque temps après, il écrivait à l’évêque de Québec : « Des Taché, vous pouvez m’en envoyer sans crainte ! »
D’ailleurs, sans attendre, il avait envoyé le jeune Père Taché, à peine ordonné, avec l’abbé Laflèche à l’Île-à-la-Crosse. En 1846, trois autres Oblats arrivaient en renfort. Enfin, Mgr Provencher recevait l’aide inlassablement espérée depuis... 28 ans !
En 1846 aussi, il obtint l’érection du diocèse de Vancouver. Pratiquement, sa juridiction va désormais se trouver limitée à l’ouest par la barrière des Rocheuses.
Dès lors, il ne lui resta plus qu’à organiser sa succession. Son choix fut vite fait : l’abbé Laflèche. Il le demanda à Rome comme coadjuteur, il obtint les bulles de nomination, en même temps que l’érection de son vicariat apostolique en diocèse. Nous sommes en juin 1848.
Mais malheureusement entre-temps, l’abbé Laflèche avait contracté à l’Île-à-la-Crosse, à cause du froid, une plaie à la jambe qui n’avait pu être soignée, il en restera boiteux. Se sachant maintenant incapable de faire les grandes randonnées que le développement des missions allait rendre nécessaires, l’abbé se trouva dans l’obligation de refuser l’épiscopat.
Sur sa recommandation, Mgr Provencher demanda et obtint la nomination du jeune Père Taché, âgé de 27 ans. Ce contretemps s’avéra providentiel. Car, avec Mgr Taché, c’était la congrégation des Oblats de Marie Immaculée qui prenait la charge de cet immense diocèse pour en soutenir l’effort missionnaire. Elle y écrira une des plus belles pages de l’histoire des missions catholiques.
DERNIÈRES CONSOLATIONS
Mgr Provencher avait achevé sa tâche. Saint-Boniface fut encore bien éprouvé par des mauvaises récoltes et surtout par une nouvelle inondation catastrophique en 1852. Mais, le 4 juillet de cette année-là, Mgr Taché était de retour à Saint-Boniface après avoir été sacré en France par Mgr de Mazenod. Il était accompagné d’un jeune prêtre séculier qui rêvait des missions, l’abbé Lacombe, qui deviendra Oblat et sera le grand missionnaire de la Prairie canadienne.
En 1853, Mgr Bourget fit don d’une importante somme d’argent à Mgr Provencher, ayant décidé les Clercs de Saint-Viateur de lui envoyer quelques sujets pour fonder un collège. Ce fut la dernière grande joie du premier évêque de Saint-Boniface, alors qu’il venait d’accepter que son cher abbé Laflèche retourne à Nicolet, vaincu par la maladie.
Quelques jours plus tard, le 19 mai 1853, « le plus bel évêque de la Chrétienté » fut frappé d’une hémorragie cérébrale à son lever. Le 24, il reçut les derniers sacrements, presque inconscient. Mais le lendemain, allant mieux, il reçut la communion en viatique, puis il bénit son entourage et tout particulièrement ses missionnaires, les absents et les Sœurs Grises. Il mourut paisiblement le 7 juin à 11 heures du soir, pleuré de tous.
Sur les instances de Mgr Bourget, on commença aussitôt à réunir le nécessaire pour un procès de béatification, mais alors faute de moyens, plus tard faute d’intérêt, les démarches furent interrompues. Peut-être que le deuxième centenaire de son arrivée à Rivière Rouge les relancera.
Même si l’épopée de l’Église de l’Ouest et du Nord-Ouest canadiens allait être entravée jusqu’à être compromise par le fléau du libéralisme, cela ne doit pas nous empêcher d’admirer immensément ces prêtres séculiers puis ces Oblats de Marie Immaculée qui, les premiers, dans la plus grande pauvreté, partirent à la conquête des âmes les plus pauvres.