LA RENAISSANCE CATHOLIQUE

N° 260 – Février 2022

Rédaction : Maison Sainte-Thérèse


L’acadien Louis Robichaud 

premier ministre du Nouveau-Brunswick
une victoire sans lendemain

LES Acadiens ont été les  seuls franco-catholiques à prendre le pouvoir dans leur province et y opérer des réformes durables. Il est donc très important d’étudier cette page de leur histoire, mais aussi de celle du Canada, puisque son auteur principal voulait faire du Nouveau-Brunswick un modèle de convivialité pour les deux peuples fondateurs.

JEUNESSE ACADIENNE

La saga des Robichaud illustre celle de l’Acadie que nous avons précédemment survolée. L’ancêtre, Étienne Robichaud, fut l’un des colons de Port-Royal, en 1604. Lors de la déportation en 1755, la famille trouva refuge en Nouvelle-France à L’Islet, près de Québec. En 1763, un des fils voulut revenir sur le domaine ancestral, mais trouvant tout détruit, il s’établit alors sur la rivière Petitcodiac. Son fils dut aller s’installer plus au nord à Bouctouche, puis cinq garçons de ce dernier défrichèrent encore plus à l’intérieur des terres, pour fonder le nouveau village de Saint-Antoine-de-Kent, en 1850. Après cette longue période de misère, grâce à l’arrivée du chemin de fer et à la fabrication des traverses, la région connut enfin la prospérité.

Louis RobichaudMais elle fut éphémère. Si bien que le père de notre futur premier ministre, Amédée Robichaud, fut obligé d’aller travailler aux États, dans une filature. C’est là qu’il rencontra une jeune acadienne, très courageuse, grand caractère, pieuse : Eugénie Richard, avec laquelle il se maria. Économes, ils purent revenir au bout de quelques années s’établir à Saint-Antoine, ouvrir un magasin général puis, en 1920, acquérir une scierie.

Sept enfants naquirent au foyer, dont Louis le 21 octobre 1925. La famille, quoiqu’à l’aise financièrement, vécut toujours modestement ; la maman surtout n’oublia jamais qu’elle avait connu la misère. Elle sut transmettre sa compassion pour les pauvres à son Louis. Au moment de la crise économique de 1929, malgré une baisse des affaires, ils n’ont jamais eu faim, mais Louis garda toujours en mémoire ce souvenir : celui des hommes venant quémander à son père les restes de leur repas pour les leurs.

Le magasin général était évidemment le centre du village, Amédée y était une personnalité : marguiller, commissaire scolaire, membre de la chorale paroissiale, conseiller auprès des gens en difficulté, il était aussi – pour ne pas dire surtout – l’organisateur du parti libéral pour qui, depuis Wilfrid Laurier, les Acadiens votaient par habitude.

Le sport occupait également une bonne place chez les Robichaud. Louis était passionné de boxe ; il suivait les combats à la radio. C’était un battant comme sa mère ; il ne savait pas ce qu’était la peur. De son père, il tenait l’acharnement au travail, l’horreur du gâchis et l’intérêt pour la politique.

Louis vécut donc une enfance heureuse, sous l’autorité d’un père pour qui le travail était sacré et d’une maman toujours joyeuse, dans une atmosphère familiale imprégnée de piété : chapelet quotidien, litanies, mois de Marie.

Comme Louis était pieux – il fut premier servant de messe – et qu’il s’avérait bien intelligent, on pensa évidemment à en faire un prêtre. Son père l’envoya étudier chez les Eudistes, dont il conserva un excellent souvenir, mieux encore : plusieurs de ses maîtres devinrent ses amis. Le Père Yvon Savoie l’initia au nationalisme acadien, non pas comme un projet politique, mais comme la nécessité de donner à ce peuple valeureux les outils de son développement.

Nous ne nous étonnerons pas de le voir acquis à la démocratie, sur laquelle il ne portera jamais de jugement critique. Petit gars, il assistait aux réunions politiques dans le magasin général ; monsieur le curé les appuyait pour la nécessaire défense de l’Acadie catholique. En 1925, quand l’acadien Pierre Vienot eut des chances d’être élu premier ministre, le Ku Klux Klan vint pour l’en empêcher par tous les moyens !

Louis n’oublia pas non plus l’enthousiasme des siens pour Allison Dysart, un avocat du village voisin, élu à la tête du parti provincial dans les années 1930. Sa promesse de la gratuité des livres scolaires lui avait procuré une victoire écrasante. « Pour nous, dira plus tard Louis Robichaud, c’était cela être libéral. Ce n’était pas du socialisme, mais cela s’appelait du partage. Il était important que les riches acceptent l’idée d’aider les pauvres. »

Avec ses parents, diplômé de l’université
Avec ses parents, diplômé de l’université

Au collège eudiste de Bathurst, Louis ne fut pas un élève particulièrement brillant, sauf en art oratoire et en sport où, malgré sa petite taille, il était d’une vitalité et d’une endurance exceptionnelles.

En 1943, à 17ans, il abandonna l’idée de la prêtrise pour s’orienter à long terme vers la politique. « Je sentais que j’avais un rôle à jouer dans la société civile. » Ce n’était pas de l’ambition, mais de la magnanimité, comme la suite va nous le montrer.

FORMATION QUÉBÉCOISE

Comme tous les jeunes Acadiens doués, encouragés par les Eudistes, il alla acquérir à l’université Laval de Québec ses diplômes en sciences sociales et en droit. Or, cette faculté était dirigée par le Père Lévesque op., qui sera l’un des principaux artisans de la Révolution tranquille en formant l’élite québécoise qui prit d’assaut la fonction publique à la fin du règne de Duplessis.

Pour le doyen de la Faculté, ce dernier était l’ennemi numéro un, mais peut-être plus encore le duplessisme, c’est-à-dire cette conception de l’État qui n’est qu’une démocratie de façade avec l’appui de l’Église, acquis par le généreux soutien de toutes ses œuvres. Le Père Lévesque enseignait, au contraire, que l’éducation, l’économie, l’aménagement du territoire, la santé relevaient du domaine strict des pouvoirs publics. Chaud partisan des théories de l’économiste Keynes, il justifiait l’intervention de l’État pour remédier à l’injustice sociale, même au prix d’un déficit budgétaire. Ces théories influencèrent considérablement le jeune Acadien qui avait de fréquents entretiens privés avec son mentor.

Toutefois, cela ne l’empêchait pas de passer de longs moments au parlement de Québec : « Je n’arrivais pas à voir Duplessis comme un ennemi. J’avais trop de respect pour l’autorité. » En fait, Robichaud était plus démophile que démocrate, et il avait, comme Duplessis et davantage que le Père Lévesque, le sens du bien commun.

De retour en Acadie, à l’été 1949, Robichaud entreprit modestement une carrière d’avocat, en ouvrant un bureau à Richibouctou, chef-lieu du comté de Kent. Pour se faire connaître et apprécier, il s’impliqua dans toutes sortes d’associations locales, c’est ainsi qu’il fut président de la caisse populaire, membre actif de la chambre de commerce, de la coopérative agricole et des chevaliers de Colomb.

En 1951, il maria la sœur d’Adélard Savoie, un de ses camarades d’université, devenu député libéral. Elle fut un modèle d’épouse chrétienne, qui partagea toutes ses vues, toujours à ses côtés. Ils eurent quatre enfants.

Avocat dans le comté le plus pauvre de la province, Robichaud n’avait aucune chance de s’enrichir. Un seul client était capable de le payer. Pour les autres, c’était la misère. De tristes scènes se gravèrent alors dans sa mémoire : des gamins pieds nus dans des maisons sans plancher, sur la terre battue ; la vente à l’encan de tous les biens des familles insolvables.

DÉPUTÉ À 27 ANS

Cela le motivait pour se lancer en politique, mais encore fallait-il se faire désigner comme candidat libéral dans le comté, qui était depuis des années le fief d’une des colonnes du parti. Finalement, il l’emporta après un premier discours qui électrisa la salle ; pris par le trac, il était pourtant monté à la tribune sans plus savoir ce qu’il voulait dire, et puis « les idées s’enchaînaient comme si elles étaient liées par un fil d’argent. »

Le premier ministre libéral de l’époque, certain de sa réélection, n’avait pas trouvé nécessaire de faire campagne pour ce scrutin de 1952, alors que P’tit Louis – c’est ainsi que ses commettants l’appelaient –, enchaîna réunion électorale sur réunion électorale, et devint ainsi, de facto, l’orateur principal du parti, celui que bientôt d’autres moins doués s’arracheraient.

L’épidémie de poliomyélite qui venait de frapper 214 enfants, la plupart de moins de cinq ans, faisait l’actualité. Devant cette situation, le gouvernement libéral était resté inerte. Rien n’avait été fait contre l’extrême pauvreté de certains comtés et pour que la province profite comme les autres du boom économique de l’après-guerre. Pire encore, pour faire face aux urgences médicales, il décréta une taxe de 4 %, juste avant les élections ! Il n’en fallait pas davantage pour qu’il les perde ; même le Premier ministre fut battu dans son comté.

Par contre, Robichaud fut élu haut la main, commençant ainsi à se faire remarquer. À la chambre, son rôle fut encore effacé, même s’il s’exprimait souvent comme porte-parole du parti libéral à Radio-Canada.

S’il resta hyperactif dans son comté, continuant à appartenir à quantité d’associations, il parcourait volontiers la province au volant de sa vieille voiture d’occasion. Il vivait toujours pauvrement, non seulement à cause du dérisoire salaire d’un député à cette époque-là, mais parce que sa foi catholique, qu’il pratiquait avec ferveur, et son souci des malheureux lui donnaient horreur de la corruption et du gaspillage.

En 1956, les conservateurs déclenchèrent de nouvelles élections, qu’ils remportèrent encore facilement. Mais Robichaud en profita pour accroître sa réputation. Un organisateur libéral témoigna : « Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi efficace sur une tribune. Il avait une façon de rejoindre les gens qui tenait de la magie. Il pouvait convertir un auditoire hostile en l’espace de dix minutes. Il était perpétuellement en mouvement ; c’était extraordinaire. »

Aussi fut-il chargé de donner la réplique au gouvernement sur le budget. Son discours d’une heure trente resta célèbre dans les annales sous le nom de discours de la dynamite. Il y démontrait avec brio que l’opposition traditionnelle des conservateurs à toute forme de taxation était obsolète, qu’ils ne pourraient jamais satisfaire les exigences d’une administration moderne avec ce principe, la preuve était que, malgré toutes leurs promesses électorales, « la seule taxe qu’ils ont réussi à faire sauter c’est la taxe sur la dynamite ». Toute la chambre éclata de rire... le pouvoir conservateur commença à vaciller.

De session en session, Robichaud enfonça le clou, reprochant au gouvernement de ne tenir que grâce à la générosité du fédéral.

PREMIER MINISTRE À 32 ANS

Lorsqu’au printemps 1958, le parti libéral décida de se donner un nouveau chef, il se porta candidat. Il eut à surmonter trois handicaps : son jeune âge – 32 ans –, le fait d’être acadien et d’être notoirement catholique pratiquant. Selon ses dires, il lui fallait vaincre « le préjugé de l’élément franc-maçon du parti ». Ce n’était nullement suffisant pour le décourager, il fit sa campagne sans aucun moyen : « Il était son propre organisateur, son propre secrétaire de presse, son propre stratège, son propre chauffeur. »

Le soir de sa première victoire électorale
Le soir de sa première victoire électorale

Au congrès de la chefferie, en octobre 1958, on lui opposa cinq concurrents et on soudoya des délégués pour qu’ils ne votent pas pour lui. Mais son discours de présentation fut si charpenté, avec un programme de gouvernement élaboré et réaliste, que lorsqu’il quitta la tribune, sa victoire était assurée. Il fut élu au troisième tour et prononça une allocution improvisée qui souleva l’enthousiasme.

Maintenant, il fallait remporter les élections malgré les trois mêmes handicaps. Il comprit qu’il gagnerait à rompre avec la coutume, pour le chef du parti, de ne faire campagne qu’à Frédéricton. En dix-huit mois, il parcourut 80 500 kilomètres dans la province, toujours au volant de sa vieille voiture, se faisant connaître avec son abord si sympathique.

Évidemment, il rendit visite aussi à Kenneth Colin Irving, l’homme le plus riche du Canada, patron d’un salarié sur six au Nouveau-Brunswick. Il était l’archétype du capitaliste prédateur du début du siècle, presbytérien, froid, persuadé que la bénédiction de Dieu se jugeait à la richesse. Déçu des conservateurs qui le trouvaient trop gourmand pour les ressources naturelles du pays, il décida de soutenir le p’tit catholique dont il pensait faire facilement sa marionnette.

Robichaud, lui, heureux de cet appui providentiel pour lui, continua sa tournée jusque dans les moindres recoins de la province, peaufinant son programme de gouvernement. Il en était maintenant convaincu : on ne changerait pas la situation sans employer des méthodes nouvelles.

En même temps, il intensifia ses interventions au Parlement. Duplessis lui avait appris qu’un chef de l’opposition avait tout intérêt à connaître par cœur le règlement de l’Assemblée. Cela lui permit de réclamer la remise en vigueur de la période de questions tombée en désuétude ; c’est à cette occasion que le premier ministre avoua que la province comptait 35 000 chômeurs pour 580 000 habitants.

À Ottawa, Pearson, le nouveau patron du parti libéral, suivait de près la performance de son homologue du Nouveau-Brunswick, car, en cas de réussite, il pourrait lui apporter le soutien nécessaire pour reprendre le pouvoir aux conservateurs. Aussi lui envoya-t-il le meilleur organisateur libéral : Ned Belliveau. « À première vue, témoigne celui-ci, c’était une gageure de faire élire p’tit Louis, 1 m 67, véritable pile électrique, il n’avait rien d’un premier ministre comme on le concevait à l’époque. Par contre, il avait tout un programme intéressant. » Les deux hommes, devenus amis, allaient se retrouver pour chaque scrutin.

Ils décidèrent d’attaquer les conservateurs principalement sur l’assurance hospitalisation que ceux-ci voulaient implanter. Ils proposaient une cotisation unique, sans égard au revenu : 50 $ par famille, plus 25 $ par adulte. Robichaud vit tout de suite la faille : les familles pauvres sont celles qui gardent le plus longtemps les jeunes adultes à la maison, elles auraient donc à payer jusqu’à 200 $, une somme considérable pour elles.

Du déroulement de la campagne, pourtant aux multiples anecdotes savoureuses, ne retenons que le soutien de l’archevêque de Moncton, Mgr Robichaud, qui assista en personne à une réunion, et l’utilisation de la télévision pour la première fois dans une campagne électorale. Autant p’tit Louis pouvait être agité à la tribune, autant à l’écran il paraissait calme, réfléchi ; il passait très bien, à la différence de Flemming, son rival.

Le 27 juin 1960, il était élu Premier ministre de la Province. C’était une telle déconfiture pour les conservateurs que ceux-ci crurent d’abord à un canular. Les journalistes eux-mêmes ne l’avaient pas prévue : ils se retrouvaient tous au siège du parti conservateur, tandis que les libéraux portaient en triomphe leur jeune chef et formèrent une immense caravane pour le conduire chez lui, à Richibouctou.

PREMIER MINISTRE NÉO-BRUNSWICKOIS

Ce fut une telle fête que, pour trouver un peu de calme, il alla prendre son repos avec sa femme dans un chalet perdu en forêt. Le lendemain, son épouse, levée la première, décida de regagner la demeure familiale pour mettre tout en ordre ; elle prit la voiture, pensant qu’un chauffeur viendrait chercher le nouveau premier ministre. Mais cela n’avait pas été prévu... Ce fut en stop que ce dernier rentra à la maison, hilare de la mésaventure !

Flemming ne digéra pas sa défaite. Malgré la tradition, il ne téléphona pas à son vainqueur pour fixer les conditions de la passation de pouvoirs. Robichaud décida donc seul de la date : le 12 juillet. Plus tard, il dira que c’était involontaire, mais prendre officiellement le pouvoir le jour de la fête des Orangistes – les conservateurs protestants les plus fanatiques anticatholiques du Canada – pouvait paraître comme une petite vengeance.

Avec ses collaborateurs
Avec ses collaborateurs

Pourtant, Robichaud ne fit pas valoir sa victoire comme celle des Acadiens contre les Anglais, faisant preuve d’une intelligence politique supérieure : à la question d’un journaliste lui demandant si son élection représentait quelque chose d’historique pour les Acadiens, il répondit : « Je serai d’abord un Néo-Brunswickois, puis un Canadien et en dernier lieu un libéral. »

Tout son programme pouvait se résumer en cette proposition : augmenter le niveau de vie de ses compatriotes en assurant le développement économique du pays et ses services médicaux et scolaires, sans favoritisme pour les Acadiens.

« Il y avait des anglophones qui pensaient que depuis des générations les Acadiens cachaient des fusils et des haches dans les sous-sols des églises et que le moment venu, ils sortiraient pour se venger. Ils pensaient qu’avec mon élection, ce moment était arrivé. » Mais il y avait bien des Acadiens qui le pressaient de réparer vite toutes les injustices subies, car ils étaient persuadés que l’élection d’un des leurs était un accident qui ne se renouvellerait plus.

Il présenta donc un cabinet équilibré de six francophones et de six anglophones. C’est à l’un de ces derniers que, à la surprise générale, Robichaud confia l’éducation ; c’est qu’il pensait que la grande réforme qu’il envisageait serait mieux accueillie si elle était pilotée par un anglophone.

Il décréta aussi que désormais les ministres se réuniraient en conseil chaque semaine, et leur fit savoir que gouverner était un travail à plein temps. C’était clair.

Il lança tout de suite plusieurs commissions royales et des consultations de toutes sortes. Certaines avaient comme but d’enquêter sur des processus de corruption, mais le plus important pour lui était de dresser un état précis de toutes les difficultés du Nouveau-Brunswick, surtout en matière de fiscalité. Les études réalisées sont un modèle du genre. Il va les suivre de très près, préparant les projets de loi au fur et à mesure, n’hésitant pas à les faire retravailler jusqu’au dernier moment.

PREMIÈRES RÉFORMES

La première réforme fut la modification de la loi sur les alcools. La province était prohibitionniste ; cependant la vente étant tolérée dans les clubs et certains établissements, les riches pouvaient s’en procurer facilement. Les pauvres, eux, ne pouvaient en acheter qu’en contrebande, contraints de vider vite leur bouteille puisque c’était la possession qui était passible d’amende ou de prison et non pas la consommation. L’ancienne loi, loin de lutter contre l’alcoolisme, le favorisait donc. La nouvelle permit la vente dans des magasins d’État, mais interdit toute publicité et inscrivit dans les programmes scolaires un enseignement contre ses méfaits.

Évidemment, les commissions d’enquête avaient révélé des problèmes bien plus considérables, comme celui de l’inégalité scolaire selon les régions. Les écoles étant à la charge des comtés, les plus pauvres rémunéraient peu leurs instituteurs, qui étaient donc souvent incompétents pour prendre en charge des classes de trente élèves répartis sur huit niveaux.

La réforme consista tout simplement à placer l’éducation sous compétence provinciale, avec diplôme pour les professeurs et salaire égal. La grande romancière acadienne, Antonine Maillet, raconte que, après la réforme, lorsque sa mère institutrice reçut son chèque, elle téléphona à l’administration pour l’avertir de l’erreur : son traitement avait doublé.

Robichaud rétablit la gratuité des livres scolaires et fit voter un plan de constructions d’écoles pour les années à venir.

Pour la création d’une université francophone, autre point important de son programme, il fusionna les établissements supérieurs catholiques. Toutefois, en disciple du Père Lévesque, mais sans l’esprit anticlérical de la Révolution tranquille, il les déconfessionnalisa avec le plein accord des congrégations, en particulier les Eudistes, qui connaissaient au même moment la révolution conciliaire. Beaucoup de religieux continuèrent à enseigner : le premier recteur de l’université de Moncton fut le Père Cormier, eudiste, ami du Premier ministre.

IRVING

Entre-temps, en 1963, alors que la popularité du gouvernement était à son zénith, Robichaud avait déclenché les élections pour se donner quelques années supplémentaires afin de poursuivre ses réformes. Il pensait les gagner facilement, en fait, ce fut un combat épique suscité par Irving qui regrettait amèrement d’avoir soutenu le p’tit catholique.

Face à Irving
Face à Irving

En effet, pour développer l’économie, Robichaud avait fait appel à des compagnies étrangères, notamment à une compagnie italienne à laquelle il avait concédé des droits d’achat et d’exploitation de bois. En échange, elle s’était engagée à construire sur place une usine de papier et à acheter aux bûcherons canadiens autant de bois que leurs propres salariés utiliseraient. Cet accord était tout profit pour la province et pour les travailleurs canadiens. Robichaud n’avait retiré à Irving aucune de ses concessions que, d’ailleurs, il sous-exploitait. Qu’importe, lui ne considérait qu’une chose : n’étant plus le seul sur le marché, il n’était plus le maître absolu.

Il déclencha donc les hostilités, elles allaient durer et s’amplifier jusqu’en 1970, mais Robichaud n’était pas du genre à se laisser intimider.

Quand le bruit se répandit que le gouvernement avait reçu des pots de vin, Robichaud répliqua non seulement en s’engageant à établir une commission d’enquête sur l’affaire des concessions, mais il en annonça une seconde pour découvrir ceux qui complotaient avec le chef du parti conservateur afin d’empêcher le développement économique de la Province. Il avait gagné la première manche.

Deux semaines après le retour des libéraux au pouvoir à Ottawa, il fut à son tour confortablement réélu. À 37 ans, il restait le plus jeune premier ministre du pays et avait les mains libres pour poursuivre ses réformes.

Il paracheva celle de l’enseignement, puis s’attaqua au système de santé qu’il déconfessionnalisa comme au Québec. Si l’Église n’y fit aucune objection, il n’en fut pas de même des anglo-protestants, plus riches, qui eurent à assumer un plus lourd fardeau fiscal.

Il s’employa aussi à développer l’industrie minière dans le nord de la Province qui était la région la plus pauvre, ce qui donna lieu à un autre épisode de la guerre désormais inexpiable avec Irving. Celui-ci, devinant la stratégie de Robichaud, avait acquis de grosses parts dans le capital de toutes les compagnies participant au projet ; mais celui-ci ne pouvait être vraiment rentable que si la production était exportée, ce qui nécessiterait de nouveaux investissements et la garantie du gouvernement. Irving était persuadé que Robichaud ne pouvait pas la lui refuser puisque cela aurait compromis son plan. C’est pourtant ce qui arriva ; mais Robichaud avait pris soin de trouver, avec l’aide du gouvernement fédéral, des compagnies canadiennes intéressées à reprendre au rabais les parts d’Irving ; après quoi, la garantie convoitée fut accordée sans difficulté.

Irving estima que le p’tit catholique était bien arrogant. C’est que celui-ci était persuadé que le bien commun, donc l’économie, relevait de l’État. Plusieurs fois il répliqua à Irving que, s’il voulait s’occuper des affaires de la province, il devait commencer par se faire élire.

Irving eut aussi sa revanche, en particulier à l’occasion de la construction d’une usine chimique au bord de l’océan. Quand Irving l’apprit, il avertit Robichaud que l’endroit était mal choisi, qu’aucun navire de gros tonnage ne pourrait accoster au quai de l’usine. Le premier ministre ne voulut pas le croire. L’usine fut construite... et aucun bateau ne put venir aborder. Robichaud n’avait plus qu’à reconnaître son erreur, ce qu’il fit simplement.

Ce fut sans conséquence. Au milieu des années soixante, on lui pardonnait encore tout. Il était sympathique, lui et ses ministres étaient jeunes, dynamiques. La joie de vivre acadienne régnait à Frédéricton et se faisait contagieuse.

LE PROGRAMME D’ÉGALITÉ SOCIALE

Tout se corsa avec ce qui devait être la grande affaire des années Robichaud : le programme d’égalité sociale. Les travaux de la commission royale n’étaient pas achevés, qu’ils montraient déjà qu’il était urgent d’agir, mais aussi qu’aucun fonctionnaire au Nouveau-Brunswick n’était capable de prendre en main une telle réorganisation.

Robichaud dut donc recruter en Saskatchewan ceux qui avaient mis en place les réformes du gouvernement socialiste de Tommy Douglas récemment battu aux élections. Ils acceptèrent de s’installer à Frédéricton, même s’il était bien convenu qu’il ne fallait pas faire du socialisme, mais développer la Province. Ils vont faire preuve d’une activité acharnée pendant trois ans.

Quand le rapport de la commission Byrne fut prêt, répertoriant les maux dont souffrait le Nouveau-Brunswick et proposant des solutions précises, Robichaud décida de le divulguer immédiatement. Le gouvernement prendrait le temps d’en étudier les recommandations puis de faire voter les lois nécessaires à leur application. Le long délai entre la publication et la mise en place de la réforme devait permettre aux citoyens, pensait-il, de saisir la gravité de la situation et donc, ensuite, d’apprécier le sérieux du travail ministériel.

Ce fut une erreur stratégique. Irving se tenait en embuscade, lui et pratiquement tous les journaux et les stations radio de la région dont il était le propriétaire.

Le rapport fit l’effet d’une bombe. Il démontrait l’état catastrophique de la province par rapport au reste du Canada, mais surtout l’inégalité d’un comté à l’autre. Tous les services reposant essentiellement sur les municipalités, comme nous l’avons déjà mentionné pour l’enseignement primaire, il y avait une très grande disparité selon leurs possibilités financières. Paradoxalement, cela entraînait une inégalité fiscale : plus le comté était pauvre et peu peuplé, plus la charge fiscale était lourde sur les habitants, même si les services étaient réduits au maximum. Un seul exemple : un bateau de pêche à Caraquet (comté le plus pauvre) était taxé 400 $, un identique au port de Saint-Jean (comté riche) était taxé 40 $.

C’était au point que des propriétaires n’entretenaient plus l’extérieur de leur maison de peur de voir monter leur évaluation foncière. Des fenêtres étaient murées ou encore le sol restait en terre battue, pour la même raison. Ces injustices ne pesaient pas uniquement sur les Acadiens, il y avait aussi des indigents anglophones.

On aurait pu penser que toute la population se réjouirait de la réforme Robichaud, il n’en fut rien. Le système démocratique allait, une fois de plus, jouer contre le bien commun.

Les conservateurs, quoique responsables en grande partie de la situation, reprochèrent au gouvernement sa lenteur à agir. Irving en rajouta, critiquant les mesures économiques, faisant croire qu’elles allaient provoquer de graves crises.

Ce fut donc dans une ambiance pénible que Robichaud fit voter l’un après l’autre les 130 projets de loi qui allaient modifier profondément le Nouveau-Brunswick.

DERNIÈRE VICTOIRE

Cette réaction d’une bonne partie de la population a beaucoup déçu Robichaud. La campagne électorale de 1967 fut terrible. Irving se déchaîna. Il possédait pratiquement tous les médias, qu’il avait confiés à un autre fanatique protestant, Michael Wardell. Tous les coups étaient permis.

Le soir de Noël, Robichaud quitta le studio de la télévision où il venait d’enregistrer ses vœux, Irving était là qui l’attendait pour l’apostropher. Réussissant à peine à contenir sa colère, le premier ministre lui répondit : « Il y a de la place pour seulement un gouvernement légitime dans cette province ! » Ce fut la dernière fois que les deux hommes s’adressèrent la parole. Robichaud était décidé à ne pas se laisser faire, c’était une question de principe : celui de l’indépendance du pouvoir civil face au pouvoir financier.

Les journaux l’attaquèrent sur son autoritarisme, les caricaturistes le représentaient toujours en Louis XIV. On mit en doute son intégrité personnelle, alors qu’il vivait pauvrement. Un jeune pasteur, qui reconnut plus tard avoir été payé, lança les plus basses calomnies. On le harcela aussi au téléphone. Il reçut même des menaces de mort, y compris contre ses enfants qui durent être protégés par la police.

Mais Robichaud fut inflexible. Il recommença à parcourir la province, de réunion en réunion, retournant la foule à chaque fois.

Quand on apprit qu’Ed Byrne allait intervenir dans la campagne, ce fut une bombe. Très populaire depuis la publication de son rapport, cet avocat catholique, maire de Bathurst, serait très écouté, d’autant plus qu’on le savait en désaccord avec Robichaud sur la mise en application des recommandations de la commission. Lui suggérait que celle-ci relevât de comités d’experts, et non pas de politiciens ou de fonctionnaires, il voulait aussi restreindre le droit de vote pour les conseils municipaux aux seuls propriétaires fonciers ; Robichaud rejeta sans ménagement ces deux propositions comme étant antidémocratiques.

Heureusement, Byrne fut honnête. Il reconnut qu’à ses yeux les suites que Robichaud avait décidé de donner à ses recommandations n’étaient pas parfaites, mais le programme d’égalité sociale du gouvernement n’en demeurait pas moins vital pour l’avenir.

Pour le contrer, Irving n’avait donc plus qu’à prendre en main le parti conservateur. Il lui trouva un chef, un certain Van Horne, un aventurier qui avait fait des affaires avec lui jadis, mais avait dû s’expatrier sans qu’on sache pourquoi, et qui, là, réapparaissait opportunément. Du jour au lendemain, il se retrouva à la tête du parti conservateur, homme lige d’Irving qui, semble-t-il, avait réglé toutes ses dettes. Ce Van Horne était un bonimenteur. Il parcourut la province, organisa de grandes réunions avec évidemment une claque payée par Irving qui l’aidait beaucoup à manipuler son auditoire.

L’enjeu des élections de 1967 était capital et suscita un vif intérêt dans le reste du Canada, puisque Robichaud proposait une solution efficace et attrayante aux problèmes fiscaux que vivaient la plupart des autres provinces, héritières d’une société protestante donc individualiste. Cela parut aux contemporains une révolution bien plus radicale que la Révolution tranquille du Québec.

Mais très vite l’effet Van Horne se fit sentir. Robichaud perdait visiblement du terrain, au moment même où une épreuve s’abattit sur lui : la grave maladie de son fils aîné, dont le seul espoir tenait en la dialyse qu’un médecin de Boston venait d’inventer ; il fut l’un des premiers à en bénéficier.

Dans le parti, puisqu’on commençait à douter de sa réélection, certains ne se cachèrent plus pour le critiquer, ce qui affecta son autorité et augmenta les tensions. Période douloureuse qui lui coûta la collaboration de McElman, son chef de cabinet et l’ami de toujours.

Ce qui sauva Robichaud, ce fut la démagogie de Van Horne : partout où il passait, il promettait tout et le reste. Un jour, voyant un de ses assistants en faire la liste, Robichaud eut l’idée de la copier sur un grand rouleau qu’il déroulait dans ses réunions publiques : il lisait les 130 promesses et en soulignait évidemment les contradictions. Van Horne était un fumiste, qui avait été incapable de gérer ses affaires sans faire des dettes considérables, dont il refusait d’expliquer comment il avait pu les rembourser.

UN MODÈLE POUR LE CANADA

Robichaud gagna les élections. Mais il n’était pas au bout de ses peines. Cette fois, ce furent les étudiants acadiens qui déclenchèrent des grèves et commencèrent à exiger l’indépendance de l’Acadie.

En janvier 1968, de Gaulle avait reçu à l’Élysée des représentants indépendantistes acadiens pour les encourager ; manière pour lui de se venger de la colère publique de Robichaud quand il l’avait entendu lancer au balcon de l’hôtel de ville de Montréal son tristement célèbre « Vive le Québec libre ». Robichaud avait tout de suite prévenu le Premier ministre fédéral et réclamé qu’on mette dehors ce trublion.

Cette vive réaction n’avait rien d’étonnant, car rien n’était plus contraire aux convictions de Robichaud que cet appel à l’indépendance. Acadien, catholique, il avait compris ce que notre Père expliquera en 1987, en conclusion de notre histoire sainte du Canada, à savoir que c’est en montrant la supériorité de notre civilisation, de notre politique, de notre économie qu’on se rallierait le Canada anglais et non pas en le prenant de front.

Ce fut exactement l’objectif de sa réforme des inégalités sociales qui, en 1968, commençait à porter ses fruits. Pour beaucoup de ses compatriotes, tant acadiens qu’anglo-protestants, c’était une nette amélioration de leurs conditions de vie, sans que les classes les plus riches soient lésées. Il avait entraîné tout le monde dans ses réformes, même Irving avait dû s’incliner. Il ne pouvait permettre qu’un ‟ trublion ” vienne tout compromettre en se mêlant de ce qui ne le regardait pas.

Un jour, des manifestants acadiens particulièrement excités se présentèrent devant le domicile du Premier ministre, alors absent, submergeant les faibles forces de police en faction. Quand Robichaud arriva sur place, il stationna tranquillement sa voiture, traversa la foule et entra chez lui en invitant les meneurs à le suivre. Peu de temps après, ceux-ci ressortirent convaincus que leurs revendications compromettraient les gains déjà obtenus.

Lors de la conférence interprovinciale de 1968
Lors de la conférence interprovinciale de 1968

Ce ne fut pas le seul acte de courage politique qu’il eut à poser pour assumer son nationalisme canadien catholique. En 1968, quand Trudeau prit le pouvoir à Otttawa, il convoqua une conférence interprovinciale sans cacher ses intentions d’en finir avec le nationalisme québécois. En face de lui, le Premier ministre du Québec, Daniel Johnson, énonça ses revendications qui confinaient à l’indépendance. Évidemment, les premiers ministres anglophones firent chorus contre ce dernier, ce que Trudeau attendait. Mais Robichaud prit alors la parole, très émotif, s’étonnant que ses collègues ne comprissent pas davantage la situation délicate dans laquelle se trouvait le Premier ministre du Québec. Il montra la catastrophe que serait pour tout le Canada la perte de cette province. Il expliqua qu’il y avait moyen de reconnaître des droits aux descendants francophones de ceux qui ont fait ce pays, sans nuire à ceux des descendants des anglophones qui, eux aussi, ont fait ce pays. Il annonça qu’à son initiative le Nouveau-Brunswick en ferait la démonstration concrète et qu’ainsi, il espérait que le Québec se sentirait davantage chez lui au Canada. On imagine l’effet que fit ce discours.

Mais rentré à Frédéricton, il constata rapidement que des opposants l’attendaient. Les conservateurs anglo-protestants ne voulaient pas accorder plus de droits aux Acadiens, tandis que ceux-ci en revendiquaient encore plus. On suggéra à Robichaud de diviser le Nouveau-Brunswick en districts francophones ou anglophones, proposition qu’il refusa avec l’énergie que nous lui connaissons, cette proposition n’aurait fait que cristalliser l’antagonisme entre les deux peuples.

Malgré cela, il décida d’argumenter pour que la province dans son ensemble soit bilingue. Ses raisons étaient si justes, si sages que même le nouveau chef du parti conservateur, Richard Hatfield, s’y rallia. La loi fut votée le 11 avril 1969 presque à l’unanimité, entra en vigueur immédiatement et il se fit un grand calme. Le Nouveau-Brunswick est encore aujourd’hui la seule province du Canada officiellement bilingue.

DEVOIR ACCOMPLI

Mais Robichaud n’en pouvait plus. Il déclencha les élections en 1970, alors que rien ne l’obligeait. Les difficultés rencontrées pour la construction du nouvel hôpital de Moncton lui valaient déjà bien des critiques, ce serait facile pour l’opposition de les monter en épingle, avec les revendications étudiantes ou les inévitables mécontentements causés par ses vastes réformes.

La crise d’octobre acheva de le bouleverser. Il connaissait bien le ministre Laporte qui venait d’être assassiné et il soutint les mesures de guerre décrétées par Trudeau.

Un de ses derniers actes de gouvernement fut une petite vengeance contre Irving. Voulant développer le tourisme, Robichaud s’était entendu avec le ministre fédéral Jean Chrétien pour créer un parc national dans le comté de Kent, à Bouctouche. Irving, ayant eu vent de l’affaire, acheta à bas prix des terrains que l’attraction touristique allait revaloriser considérablement quelques mois plus tard. Quand Robichaud apprit cette spéculation, il téléphona à Chrétien et lui demanda de faire le parc cinquante kilomètres plus au nord, à Kouchibouguac. Irving en fut pour ses frais.

Il partit content : devoir accompli
Il partit content : devoir accompli

Le résultat des élections fut sans surprise une victoire des conservateurs. Robichaud partit content pour deux raisons : il avait conscience d’avoir bien travaillé et il trouvait que le nouveau chef conservateur, Hatfield, était un homme de valeur ; de fait, il consolida toute l’œuvre de Robichaud.

Une seule déception qui lui fut sensible : Robichaud avait demandé à Trudeau d’être nommé juge, car il se passionnait pour le droit. C’était la coutume et Trudeau aurait dû le satisfaire sans difficulté, mais, rancunier, il voulut lui faire payer sa défense du Québec : il le nomma président de la commission des eaux limitrophes, où il s’ennuya mortellement pendant quatre ans. Puis, il en fit le plus jeune sénateur de l’histoire à 46 ans ! 29 ans plus tard, à l’âge de la retraite, il alla habiter un petit bungalow en face de la dune de Bouctouche... Irving était décédé depuis longtemps. Lui s’éteignit quatre ans plus tard d’un cancer foudroyant, le 6 janvier 2005.

Voilà comment un jeune catholique, intelligent, pieux, ayant le sens du bien commun, a pu améliorer considérablement la situation de son pays. Mais il en aurait fait davantage s’il avait connu la doctrine politique et écologique de notre Père, au lieu d’avoir été formé par le Père Lévesque. C’est certain.

Que reste-t-il de son œuvre ? Tout, ou presque : depuis 1970, les droits des Acadiens ont été globalement respectés – et même s’ils subissent actuellement de nouvelles attaques et si la région affronte des difficultés économiques. Toutefois, l’Acadie catholique a perdu son âme, à cause de la religion du Concile qui n’était pas celle des Acadiens, mais qui leur a été imposée par leur clergé. Les réformes de Robichaud ont-elles favorisé cette mort lente ? Certes, la déconfessionnalisation du système scolaire et de la santé l’a facilitée, mais elle n’a pas été déterminante, d’abord parce qu’elle a été acceptée volontiers par le clergé.

On se retrouve donc ici, comme dans l’Ouest, aux États-Unis et au Québec devant la même constatation : l’avenir du Canada franco-catholique nécessite avant tout une Contre-Réforme dans l’Église, sans laquelle même une œuvre politique de qualité, comme celle de Robichaud, ne sera qu’éphémère.