LA RENAISSANCE CATHOLIQUE

N° 256 – Octobre 2021

Rédaction : Maison Sainte-Thérèse


Mgr Maurice Baudoux 
De « Gaudium et Spes » à « Luctus et angor »

Mgr Maurice Baudoux

L’ANNÉE 1929 fut une  dure année pour les Franco catholiques de la Saskatchewan, avec la mort de Mgr Olivier-Elzéar Mathieu, l’implantation du Ku Klux Klan dans l’Ouest canadien et tout particulièrement dans cette province, renforçant l’opposition des orangistes, et l’élection du conservateur Anderson comme Premier ministre. Toutefois, rien ne pouvait empêcher la paroisse de Prud’homme de fêter ses vingt-cinq ans. Le curé Bourdel – un des plus remarquables prêtres colonisateurs – activa donc la finition de l’ornementation de l’église. Le 17 juillet eut lieu l’ordination sacerdotale de deux enfants du pays, dont son très cher fils spirituel, Maurice Baudoux, promis à un brillant avenir. Denise Robillard vient de publier la biographie de cette « grande figure de l’Église et de la société dans l’Ouest canadien », nous y puiserons les causes de l’échec de la survivance canadienne-française au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta.

UN JEUNE BELGE QUI SE VEUT
CANADIEN-FRANÇAIS ET PRÊTRE

Né en Belgique en 1902, Maurice suivit ses parents venus s’installer en Saskatchewan en 1911, où ils avaient émigré après avoir prospéré dans le commerce des chevaux, inquiets des bruits de guerre avec l’Allemagne qui commençaient à circuler. Malheureusement, ils n’avaient pas les talents de colon comme certains de leurs compatriotes qui firent fortune. Eux connurent bien de la misère avant de trouver dans le curé Bourdel le conseiller, pour ne pas dire le père, dont ils avaient besoin.

Leur piété les aida beaucoup à surmonter leurs épreuves. Une de leur fille entra en religion, l’autre, Mariette, celle qui était la plus proche de Maurice, entra au service du curé avant de suivre son frère devenu évêque, l’aîné devint colon, sans mieux réussir que ses parents.

Maurice Baudoux au collège.
Maurice au collège ; il est au centre, le plus grand de tous !

Maurice était un jeune homme intelligent, pieux, un beau garçon de 6 pieds 4 pouces, presque un géant. Le curé discerna vite chez lui une vocation sacerdotale. On l’envoya donc faire ses études secondaires au séminaire de Saint-Boniface où il fut très heureux, malgré les restrictions continuelles imposées par la pauvreté familiale.

Dans ce bastion du nationalisme franco-catholique, il s’identifia sans peine aux Canadiens-français. D’un caractère enjoué, excellent camarade, il ne brilla pas dans ses études, mais il était un grand discoureur. Avec entrain, il participait aux différentes activités parascolaires, surtout celles stimulant le patriotisme.

Perspicace, il comprit vite qu’il ne fallait pas attendre de secours « de nos compatriotes de l’Est ; ils sont trop loin et ne peuvent pas entendre nos appels. » Mais il ne chercha pas d’autres explications à ce désintérêt, visiblement, il n’avait pas eu connaissance de la trahison des catholiques libéraux, et tout particulièrement celle du cardinal Taschereau, refusant de soutenir financièrement la colonisation franco-catholique.

Pauvre comme Job, il se trouva dans l’obligation de faire ses études sacerdotales à Edmonton plutôt qu’à Saint-Boniface. Il y entra en 1925, même si l’ancien diocèse de Mgr Grandin venait de passer aux mains des Irlandais. Le séminaire ne serait plus longtemps sous la gouverne des Oblats, tant leurs relations avec l’évêque O’Leary étaient mauvaises.

Il eut bien du mal à s’adapter à la différence de mentalité avec les anglophones. Loin de le séduire, elle stimula son nationalisme canadien-français et celui de ses confrères francophones. Il resta aussi en contact avec ses camarades de Saint-Boniface et commença à écrire des articles pour Le Patriote de l’Ouest.

Son autre passion fut le chant grégorien et la liturgie. Un concours de circonstances le fit remarquer par le vicaire général, Mgr McGuigan, le futur cardinal de Toronto, qui le nomma premier cérémoniaire de la cathédrale, lui, un séminariste de première année. Ce ne fut pas du goût de tous, certains prêtres supportant mal d’être menés par « un blanc-bec canadien-français ». En revanche, l’évêque appréciait beaucoup sa science liturgique, au point qu’il lui proposa de s’agréger au diocèse. Il refusa énergiquement.

Les premiers mois après le renvoi des Oblats, en 1926, furent particulièrement pénibles. Considéré par le nouveau directeur, un Irlandais, comme le porte-drapeau des idées canadiennes-françaises, il reçut son compte de brimades et d’humiliations.

Ce fut probablement son adhésion aux Chevaliers de Colomb qui calma le ressentiment directorial. L’organisation n’avait pas bonne presse auprès des Canadiens-français, puisqu’elle gardait la neutralité dans leurs luttes. Mais avec le temps, et surtout parce qu’elle s’implanta au Québec à partir de 1927, Maurice comme bien d’autres estima qu’il fallait s’en faire un allié et, pour cela, en être membre.

Toutefois, considérant ses qualités et à la demande du curé Bourdel, son évêque décida de l’envoyer finir sa théologie au Séminaire de Québec, après lui avoir donné les ordres mineurs à Prince-Albert, en juillet 1927.

Son séjour y fut pénible. À la nostalgie des grands espaces de la Prairie s’ajouta la déception de ne pas retrouver là l’esprit de camaraderie de Saint-Boniface, et même d’Edmonton. En outre, Mgr Rouleau, le nouvel archevêque et futur cardinal, se moqua de sa haute taille, ce qui acheva de le mettre mal à l’aise. Heureusement, son intérêt pour les études et la splendeur des cérémonies à la cathédrale lui firent surmonter l’ennui. Il fut ordonné diacre à Québec, le 22 septembre 1928, et reçut l’onction sacerdotale le 17 juillet suivant, dans la paroisse du curé Bourdel dont il fut nommé vicaire. Il sera son bâton de vieillesse bien nécessaire au moment où l’avenir de la colonisation franco-catholique était menacé.

JEUNE PRÊTRE TRADITIONNEL ET ZÉLÉ

Fervent, conscient de ses devoirs, le jeune prêtre fut très dévoué à son cher curé autant qu’aux paroissiens. À ceux qui l’auraient souhaité moins sévère que l’abbé Bourdel, il répondit : « Ce que monsieur le curé a appris au séminaire, c’est ce que j’ai appris, c’est ce que tous les prêtres ont appris. Tous nous sommes tenus en conscience à vous enseigner la même doctrine, celle de l’Église catholique. »

Maurice Baudoux, jeune curé dans les années 1930.
Jeune curé dans les années 1930.

Sa prédication classique se nourrissait des encycliques pontificales qu’il s’appliquait à mettre à la portée de son petit monde.

Toujours attaché à la belle liturgie, il favorisa toutes les réformes de l’époque, initiées par saint Pie X. Il enseigna donc le chant grégorien à ses colons, il adopta la messe dialoguée et les nouveaux ornements liturgiques.

Il fut également, et dans un bon esprit, un chaud partisan de la rénovation de la pédagogie catéchétique. Il souhaitait « une éducation chrétienne totale » qui ne se contentât pas de la mémorisation du petit catéchisme, mais qui le complétât par une mise en pratique avec la participation des parents. Il composa d’ailleurs une méthode, que plusieurs diocèses de l’Ouest adoptèrent.

Il commença aussi à apprendre le hongrois pour s’occuper d’immigrants installés dans la paroisse et qui ne comprenaient que cette langue ; heureusement, quelques mois plus tard, un prêtre de leur nationalité les prit en charge.

Il dût également donner des cours de pédagogie aux religieuses du couvent, mal formées à l’école normale.

Bref, on ne peut imaginer prêtre à la fois plus dynamique et plus traditionnel, si ce n’est qu’il s’initia à la pensée personnaliste de Jacques Maritain, dans la ligne de sa formation thomiste.

Il agissait en tout sous l’œil paternel du curé Bourdel qui se voyait vieillir et bientôt mourir, au point de démissionner dès l’automne 1931, heureux de transmettre sa charge à son vicaire. Prud’homme n’était encore qu’un village de colonisation : 478 personnes, bien pauvres. Pour payer les intérêts de la dette de la fabrique, qui s’élevait à cinq mille dollars, l’abbé Baudoux accepta que son salaire annuel soit réduit de trois cents dollars.

Le jeune curé prit trois initiatives importantes pour soutenir ses paroissiens victimes d’une crise agricole sans précédent : il organisa une collecte de vêtements et de nourriture pour venir en aide aux plus pauvres, il leur montra comment défendre leurs droits par des débats contradictoires et il mit en place des retraites fermées, les premières dans le diocèse, pour leur apprendre à puiser dans les secours spirituels le courage nécessaire à leurs dures conditions de vie.

Il fut l’initiateur de l’Action catholique spécialisée, par obéissance aux directives pontificales, alors qu’il était un ardent partisan de l’ACJC depuis ses études au séminaire de Saint-Boniface. Il n’y voyait aucune difficulté, car il était impossible à ses yeux que des mouvements voués à l’apostolat puissent refuser de travailler ensemble.

Quelle activité ! Or, il faut aussi y ajouter ses nombreuses interventions en faveur des minorités francophones.

LA SURVIVANCE FRANCO-CATHOLIQUE

C’est à partir de 1908, sous l’autorité de Mgr Langevin, archevêque de Saint-Boniface, que les Canadiens-français de l’Ouest se décidèrent à réclamer le respect de leurs droits. Les Sociétés Saint-Jean-Baptiste furent tout d’abord leur fer de lance dans ce combat. En 1912, la Société du parler français prit la relève avec l’avantage de regrouper tous les francophones et non plus seulement les Canadiens-français. Elle adopta comme organe de liaison le journal Le Patriote de l’Ouest, fondé en 1910 pour unir les communautés francophones.

L’année suivante, elle se transforma en Association catholique franco-canadienne (ACFC) et connut un grand succès, tout particulièrement en Saskatchewan avec 1500 adhésions réparties en 44 cercles.

Mais la crise de la conscription et la guerre ravivèrent l’opposition orangiste, tandis que les écoles souffraient d’une pénurie de maîtres.

Pour la contrer, les Canadiens-français d’Ottawa lancèrent une organisation secrète calquée sur celle de la franc-maçonnerie : l’Ordre de Jacques Cartier. Le curé Bourdel – comme plus tard son vicaire – se fit un zélé auxiliaire de ses actions nationalistes.

En 1930, Mgr Prudhomme voulut prendre de vitesse les Irlandais en transférant son siège épiscopal de Prince-Albert à Saskatoon, devenue la ville la plus importante au sud du diocèse. Non seulement Rome le désavoua, mais elle créa aussitôt le diocèse de Saskatoon, attribué à un prélat irlandais. La paroisse de Prud’homme s’y trouva incluse.

Dans le nouveau diocèse, l’abbé Baudoux, déjà considéré comme le digne successeur du curé Bourdel, hérita naturellement du rôle de représentant et de défenseur de la minorité francophone. Il sut le faire sans heurter son nouvel évêque et ses confrères anglophones. Pourtant, il ne mettait pas son drapeau dans sa poche.

Membre actif, il fonda les cercles paroissiaux de l’ACFC dans le nord de la province. En 1931, il en avait organisé le congrès à Regina, conjointement avec celui des commissaires d’école franco-canadiens. Les 650 congressistes le choisirent comme vice-président.

Mgr Maurice Baudoux
Jeune évêque dans les années 1950

En 1935, élu président à son corps défendant, il travailla à réunir la vingtaine d’associations patriotiques francophones d’Amérique du Nord. De leur première réunion à Montréal, il revint « plus convaincu que jamais que les Canadiens français d’Amérique vibrent à l’unisson, mais qu’il est nécessaire, en raison des énormes distances qui nous séparent, de continuer à alimenter cette union, en vue d’une collaboration organique, par des rapprochements semblables. »

Cependant, il voyait avec crainte l’émergence d’un mouvement indépendantiste chez les moins de quarante ans, qui voulaient un « État libre et français en Amérique ». Il les comprenait, mais il considérait, à juste titre, que leur entreprise était « casse-cou », car elle conduirait à l’abandon des minorités francophones dans le reste du pays. C’est ce qui arrivera trente ans plus tard.

Pour maintenir le sentiment nationaliste dans la jeunesse, il diffusa les ouvrages de l’abbé Groulx et mit sur pied l’enseignement du français, en marge du système scolaire officiel. Cinq mille enfants ont bénéficié de ces cours organisés par l’ACFC.

Mais il est surtout connu pour être « le père de la radio francophone dans l’Ouest ». La création de ce réseau était à ses yeux une priorité pour renforcer la cohésion des francophones et pour que l’anglais ne pénètre pas continuellement dans leurs maisons.

En 1939, le français n’occupait que 43 minutes sur les 115 heures du programme hebdomadaire de Radio-Canada ! L’abbé Baudoux et quelques responsables laïcs ne ménagèrent pas leurs efforts pour obtenir davantage. Ils auraient échoué sans le poids politique du Québec qui se manifesta à l’occasion des congrès de la Survivance ou du Parler français, à Québec et à Ottawa. Impressionnés par la fermeté des revendications, les politiciens fédéraux firent en sorte qu’on leur accordât les droits de diffusion, d’abord refusés sous de faux prétextes.

Le 14 aout 1941, au presbytère de Prud’homme était signé l’acte de naissance de la Radio de l’Ouest. Une souscription fut lancée pour financer trois heures de diffusion quotidienne à partir de quatre postes émetteurs. Mais ce sera seulement en 1952, que le réseau radiophonique français de Radio-Canada, jusque-là confiné au Québec, sera étendu à tout le Canada.

En 1944, le siège épiscopal de Saskatoon étant devenu vacant, l’abbé Baudoux fut choisi comme vicaire capitulaire, alors qu’il n’avait que 42 ans. C’est dire que tous reconnaissaient sa compétence et son dévouement.

Le caractère bilingue du diocèse fut entériné par le nouvel évêque, Mgr Pocock, futur archevêque de Toronto, qui se montra dès lors toujours très ouvert vis-à-vis des francophones. Il nomma le curé de Prud’homme directeur diocésain de l’enseignement religieux et obtint que Rome lui accordât la prélature domestique.

ÉVÊQUE DE SAINT-PAUL

Le 12 août 1948, il fut nommé au siège épiscopal du nouveau diocèse de Saint-Paul, formé de la partie nord de celui d’Edmonton. Sur 76 000 habitants, il ne comptait que 34 000 catholiques, dont 10 600 francophones et 2300 anglophones ; 25 prêtres séculiers, 20 religieux et 160 religieuses s’y dévouaient.

Il reçut la consécration épiscopale le 28 octobre 1948. Dans sa première lettre pastorale, il se montra d’abord surnaturel, voulant travailler au salut des âmes et au développement « d’un christianisme de plus en plus resplendissant » dans la vie de ses fidèles. Il assurait « qu’avec l’ardeur native que Nous tenons de Dieu, Nous Nous dépenserons sans limites pour vos âmes. » Mais il ajoutait : « En tout ce qui ne relève pas directement du domaine de la grâce, agissez en pleine initiative par vous-mêmes et sous la direction des chefs laïques que vous vous choisissez librement. (...) Il faut faire le bien et ne rien faire est un mal. »

Dans cette vaste région qui n’avait pas eu de visite pastorale depuis trente ans, tout était à créer. Ce n’était pas pour lui faire peur. Très vite, il s’assura l’estime de ses prêtres. Il voulut la fondation d’un monastère de religieuses contemplatives, les Sœurs du Précieux Sang. En tout il agit en bon évêque, traditionnel, zélé. Il s’entendit très bien avec son voisin du nord, Mgr Routhier, évêque de Grouard ; mais il eut plus de difficultés avec l’archevêque irlandais d’Edmonton dont l’inertie le fâchait.

ARCHEVÊQUE DE SAINT-BONIFACE

En février 1952, lorsqu’il apprit sa désignation comme archevêque coadjuteur de Saint-Boniface auprès de Mgr Béliveau, malade depuis vingt ans, il essaya, mais en vain, de s’y opposer, prétextant qu’il était loin d’avoir achevé ce qu’il avait commencé, et qu’il aimait beaucoup travailler dans un diocèse pauvre.

Sa nomination fut très, très bien accueillie par les Franco-canadiens qui, pour ainsi dire, reprirent leur ardeur combattante en le retrouvant. Au bout de quatre mois, il publia une première lettre pastorale qui rappelait la nécessité d’intensifier la vie chrétienne par la prière et les sacrements, ainsi que le devoir de soutenir l’Action catholique. Il s’inquiétait aussi de l’absence chronique de vocations sacerdotales et religieuses dans ce diocèse plus que centenaire où les deux cinquièmes des consacrés venaient de l’extérieur. La lettre se terminait par une pressante exhortation à s’unir devant les forces du mal.

Il s’appliqua à faciliter les relations entre les Jésuites et les Oblats, qui dirigeaient les deux établissements scolaires importants de Saint-Boniface, il prépara l’avenir du grand séminaire et celui du petit séminaire indien, il s’attaqua à l’amélioration de la catéchèse et de l’éducation catholique. En peu de temps, il fut considéré comme le leader naturel des évêques francophones de l’Ouest.

À partir de 1955, une fois devenu l’archevêque en titre, il entreprit une vaste réforme du diocèse, très inspirée par le livre de Mgr Suenens L’Église en état de mission. Conscient de ses responsabilités et tenant à mettre en œuvre tout ce que Rome préconisait, il n’hésitait pas à faire preuve d’autorité.

Par exemple, sur la question de la liturgie, il soulignait le bien-fondé d’une évolution demandée par saint Pie X, cinquante ans auparavant, pour redonner toute leur vérité aux rites et promouvoir la participation des fidèles, mais il se montrait d’un légalisme méticuleux et intransigeant. Pendant une retraite sacerdotale, à ses prêtres qui rechignaient à l’une de ses exigences, il répondit simplement : « À Saint-Paul, c’était impossible d’avoir un servant à 6 heures. J’ai dit : mes sœurs, vous devez en avoir un, puis c’est tout. Elles en ont eu un, ç’a été réglé. Elles se sont conformées à la loi. »

C’est avec la même autorité qu’il imposa l’Action catholique spécialisée, malgré l’opposition des Jésuites du collège de Saint-Boniface. « Elle fait partie du ministère pastoral des prêtres, les curés, vicaires, professeurs et religieuses ont l’obligation de se donner entièrement à ce ministère si précieux. » Il précisait : « C’est une faute, et une faute grave, d’y mettre obstacle. »

C’est qu’il était persuadé d’assurer l’avenir de l’Église et le salut des âmes. « L’Action catholique est le moyen par excellence et particulièrement adapté aux temps modernes pour refaire le monde et le ramener au Christ. »

AU CONCILE VATICAN II

Il apprit la mort de Pie XII alors qu’il était en route pour sa visite ad limina. Il fut donc parmi les premiers évêques que le nouveau pape Jean XXIII reçut en audience : « Ce furent dix minutes délicieuses. »

Jean XXIII et Mgr Maurice Baudoux

Aussi en revint-il plein d’énergie conquérante. Il invita ses prêtres à travailler « à la conversion des 170 000 habitants du diocèse qui n’appartiennent pas au troupeau » et à étendre leurs horizons jusqu’en Amérique latine pour contrer « l’avance effarante » que le protestantisme y fait.

C’est avec le même enthousiasme qu’il accueillit l’annonce du Concile. Lors d’une tournée pastorale dans les paroisses, il se montra encore très sévère, parce qu’il voulait que tout soit prêt pour l’expansion de l’Église qui se produirait nécessairement à la fin du Concile. Il célébra solennellement le centenaire de la mort du saint curé d’Ars.

Durant les mois de préparation du Concile, il fut un chaud partisan de la concertation entre évêques. Toutes les occasions lui étaient bonnes pour réunir ceux de l’Ouest ou rencontrer ceux de l’Est. C’est à cette époque que l’épiscopat inaugura des actions communes de soutien aux revendications, aussi bien celles des bûcherons que celles des céréaliers, pour la défense des écoles francophones comme pour la promotion de la liberté d’enseignement en général.

Arrivé au Concile, il s’aperçut rapidement qu’il était déphasé, malgré son intense préparation, autrement dit ses connaissances classiques ne lui permettaient pas de participer aux débats. « Il y a bien des choses que je réapprends ou apprends tout court, étant donné les avances ou tout au moins les perspectives nouvelles des sciences sacrées depuis 34 ans et dont je n’ai pas réussi à suivre le pas. »

Alors, il alla de réunions en conférences de théologiens pour se mettre à jour, y compris celles d’un certain Hans Küng, et bien sûr celles du cardinal Suenens, dont un des ouvrages l’avait aidé dans son ministère épiscopal et qui était maintenant l’un des chefs de file de l’aile progressiste.

Ce qui le séduisait le plus dans le “ nouvel esprit ” de ce concile pas comme les autres, c’était le fait de partager entre évêques les responsabilités et les problèmes contemporains. À l’un de ses prêtres nommé évêque de Victoria, il écrivit : « La plus grande croix pour les évêques était de se sentir presque toujours seuls. Comme je l’ai souvent éprouvé et comme j’en ai souffert ! Le fait que nous ne pensons pas de même en certaines choses ne fait rien, ne doit rien faire. Nous sommes unis dans le Collège apostolique ; nos buts et motifs sont identiques. »

Mgr Baudoux au Concile.
En compagnie de ses théologiens durant une session du Concile Vatican II

On n’imagine pas le travail de ces “ bons évêques ” pris dans cette tempête conciliaire. Il en était épuisé. Outre une volumineuse correspondance, il devait assister à des commissions dans son diocèse, d’autres à l’échelon du Canada, puis de l’Amérique, enfin à celles des épiscopats francophones.

Aveugle sur le poison qu’on introduisait dans l’Église, il n’était sensible qu’au formidable effort de réponse aux besoins de l’époque. Aussi fut-il heureux de voir Paul VI continuer l’œuvre commencée par Jean XXIII.

Il fut le prélat canadien le plus actif au Concile. Il approuva la réforme liturgique, car depuis longtemps déjà, il pensait que l’usage de la langue vernaculaire permettrait une plus fervente participation des fidèles. Dès 1964, avec une autorisation spéciale de Paul VI, il concélébra la messe chrismale dans sa cathédrale.

Certains documents proposés au vote de l’assemblée des pères le laissaient mal à l’aise, par exemple le schéma sur la Révélation, mais, attribuant cela à son ignorance, il se rallia à la majorité. Toutefois, c’est sans aucune réticence qu’il approuva, comme tous les évêques d’Amérique du Nord, la Déclaration sur la liberté religieuse.

C’est ainsi que cet évêque rigide, traditionnel, sévère par zèle pastoral revint enthousiaste du Concile comme il y était parti, sans s’être aperçu qu’on y avait changé la religion !

Un texte clé explique tout : c’est une instruction à son clergé, du 7 mars 1965 : « Il nous faut nous remettre à l’école, vénérés confrères dans le sacerdoce. Je puis vous dire qu’il en est ainsi pour la plupart des évêques, puis vous dire qu’il en est ainsi pour moi. Je n’ai jamais tant étudié depuis que j’ai quitté le Séminaire, que depuis cinq ans, et continuellement. Mais il faut que chacun de nos prêtres se remette de la même manière à l’étude. C’est une nécessité absolue. Cela veut dire également qu’il faudra chez nous une véritable conversion. Vous ne l’ignorez pas que peu à peu nous en sommes arrivés au concile à faire disparaître le mot convertir du vocabulaire de l’œcuménisme. Il n’y est plus question de conversion des autres, parce qu’il est question de la conversion de tous, tous nous devons nous convertir, et nous ne devrions jamais parler de conversions que dans ce sens de conversion mutuelle. Nous sommes tous en état de conversion et si nous ne le sommes pas, nous ne sommes pas du tout à la hauteur de la tâche. Mais c’est extrêmement important que nous en arrivions là, non seulement au point de vue intellectuel, mais au point de vue de la volonté, au point de vue de tout ce qui est en nous, pour pouvoir être en parfaite disponibilité vis-à-vis de la grâce qui vient de l’Esprit. »

Voilà, la désorientation diabolique était faite !

L’APRÈS CONCILE...

Ses funestes conséquences ne tardèrent pas à paraître. Peu de temps après, il fit face à trois effondrements majeurs dont il ne comprit pas la cause.

Ce fut d’abord une baisse soudaine des vocations sacerdotales, alors qu’il avait approuvé, avant le Concile, un plan d’agrandissement du grand séminaire et un projet de fondation d’une faculté de théologie pour la formation de tous les séminaristes de l’Ouest.

Puis, les Jésuites et les Oblats abandonnèrent les deux institutions scolaires les plus réputées de son diocèse, bastion du nationalisme franco-canadien : le collège de Saint-Boniface et le petit-séminaire. À leur tour, les Sulpiciens quittèrent le grand séminaire.

Enfin, le gouvernement reprit son offensive contre les écoles séparées. Comme les paroisses, moins fréquentées, n’avaient plus les moyens de les soutenir, il fallut les laisser à l’État et c’en fut fini de l’esprit nationaliste, d’autant plus que les « anciens » – les plus militants – disparaissaient les uns après les autres sans une véritable relève.

L’ébranlement des institutions de l’Église causé par le concile Vatican II entraînait fatalement le déclin de la survivance dans l’Ouest dont elles avaient été le principal soutien.

Même le réseau radiophonique affilié à Radio-Canada depuis 1952, mais toujours indépendant, fut dans l’obligation de s’y rattacher définitivement en 1973. On célébra la chose comme une victoire du bilinguisme, alors qu’on perdait tout contrôle sur les programmes.

C’est avec consternation que Mgr Baudoux assista aussi à l’émergence du Parti québécois dont le chef, René Lévesque, avait déclaré : « Le Parti québécois n’a que faire des minorités canadiennes-françaises hors du Québec. » Il fut impuissant à empêcher des membres de l’Association catholique des Franco-canadiens d’y être favorables.

Il n’avait pas fallu dix ans pour que l’Église perde le souci des minorités francophones et, du même coup, perde toute influence. Mgr Baudoux a dû en faire l’amère constatation quelques semaines avant sa démission, lorsque seuls neuf évêques sur vingt diocèses francophones répondirent positivement à l’invitation de l’archevêque d’Ottawa pour adopter une action commune contre la sécularisation de la fête de saint Jean-Baptiste.

La rupture était évidente. Il avait été un artisan du Concile, il faut constater qu’il en fut aussi une victime.

Sa santé se détériorant à partir de 1970, il démissionna en 1974. Le jour même, on annonçait la fermeture de la dernière école francophone du Manitoba, l’école Taché à Saint-Boniface, et le passage de l’école Provencher au bilinguisme. Tout un symbole.

Il consacra tout de même ses dernières années à entretenir le feu sacré de la survivance, multipliant les conférences sur son histoire, jusqu’à ce que d’importantes pertes de mémoire l’obligent à arrêter toute activité en 1986. Il s’éteignit doucement le 1er juillet 1988.